je n'en suis pas
moins affamee de les revoir, et je serai, au plus tard, a Paris pour
la distribution des prix. Les notes de Maurice sont excellentes. Il
m'ecrit la lettre la meilleure et la plus laconique du monde. "Tu me
demandes si j'oublie ma vieille mere, non. Je pense tous les jours a
toi. Tu me dis de t'ecrire, espere que je t'ecrirai. Tu me demandes si
je suis corrige de mes caprices d'enfant, oui."
Voila son style! on dirait un bulletin de la grande armee, et avec
cela pas une faute d'orthographe; je suis bien contente de lui.
Comment va Leontine? Elle doit etre bien grande, au train dont elle y
allait quand je suis partie.
Es-tu toujours a Corbeil? D'apres ce que tu me dis, tu es dans un bon
air et dans une belle situation. Si tu as envie d'aller a Nohant au
mois d'aout, nous irons ensemble avec Leontine et Emilie, si sa sante
le permet et si le _coeur lui en dit_.
Tu me parais un peu degoute du pays; mais il y aura une maniere de ne
pas trop s'apercevoir de ses desagrements. Ce sera de rester a fumer
sur le perron, de bavarder a tort et a travers entre nous, et de
dormir en chien sur le grand canape du salon. Venise, avec ses
escaliers de marbre blanc et les merveilles de son climat, ne me fait
oublier aucune des choses qui m'ont ete cheres. Sois sur que rien ne
meurt en moi. J'ai une vie agitee. Mon destin me pousse d'un cote et
de l'autre, mais mon coeur ne repudie pas le passe. Il souffre et se
calme selon le temps qu'il fait. Les vieux souvenirs ont une puissance
que nul ne peut meconnaitre, et moi moins qu'un autre. Il m'est doux,
au contraire, de les ressaisir, et nous nous retrouverons bientot
ensemble, dans notre vieux nid de Nohant, ou je n'ai pas pu vivre,
mais ou je pourrai, peut-etre plus tard, mourir en paix.
Dire que l'on aura une vie uniforme, sans nuages et sans reproches,
c'est promettre un ete sans pluie; mais, quand le coeur est bon, l'on
se retrouve et l'on se souvient de s'etre aimes. Il m'a semble
plusieurs fois que j'avais a me plaindre beaucoup de toi. J'ai pris
definitivement le parti de ne plus m'en facher. Je savais bien que
j'en reviendrais et que je ne pourrais pas rester en colere contre
toi, que tu eusses tort ou non. Et ainsi de tout dans ma vie. Je
reponds aux bons procedes, j'oublie les mauvais; je me console des
maux et je sais jouir des biens qui m'arrivent. J'ai la philosophie du
soldat en campagne.
Nous sommes bien freres sous ce rapport; mais, toi, tu agis
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