demande quarante fois a
Boucoiran. Pas de reponse. Il y a des instants ou ce silence m'effraye
tellement, que je m'imagine que mon fils est mort et qu'on n'ose pas
me le dire.
Peut-etre le printemps t'aura-t-il attire en Berri. En ce cas, renvoie
la lettre a Maurice, directement au college. Tu me rendras le service
de le voir et de l'observer, quand tu retourneras a Paris. En
attendant tu verras ma fille a Nohant. Tu me parleras beaucoup d'elle,
de toi et du pays.
Concois-tu que ni Laure ni Alphonse[1] ne m'ecrivent! M'ont-ils
oubliee aussi, ceux-la? Il me semble que je suis morte et que je
frappe en vain a la porte des vivants.--Il est vrai que je leur avais
annonce mon prochain retour, et que me voila encore a Venise pour
quelque temps. Donne-moi au moins de leurs nouvelles.
Adieu, mon ami; tu vois que, si je repousse les epanchements de
l'amitie dans certains cas, je reviens lui demander secours dans les
affections plus profondes et plus reelles de la vie. Donne-moi aussi
moyen de te faire du bien.
Je t'embrasse de tout mon coeur. Rappelle-moi l'amitie de ton pere.
Tout a toi.
GEORGE S.
[1] M. et madame Fleury
CXIV
A M. HIPPOLYTE CHATIRON, A PARIS
Venise, 1er juin 1834.
Mon ami,
A present que je suis revenue de Constantinople, je te dirai que c'est
un bien beau pays, mais que je n'y suis pas allee. Il fait trop chaud
et je n'ai pas assez d'argent pour cela. Si j'en avais, j'irais a
Paris tout de suite et non ailleurs. Si tu entends dire que je suis
noyee dans l'Archipel, sache donc bien qu'il n'en est rien et que
c'est une nouvelle litteraire, rien de plus.
Je suis a Venise, travaillant comme un cheval, afin de payer mon
voyage d'Italie, que je dois encore a mon editeur, mais dont je
m'acquitte peu a peu. Je comptais etre debarrassee de cette corvee il
y a deux mois. Des circonstances imprevues, un voyage dans le Tyrol,
quelques chagrins, m'ont retardee dans mon travail, et dans mes
profits par consequent.
Neanmoins mon courage n'est pas mort; mais, pour le moment, je souffre
beaucoup d'etre loin de mes enfants depuis si longtemps. J'ai ete dans
une grande inquietude par le silence de Boucoiran, lequel silence dure
encore, je ne sais pourquoi. J'ai recu enfin une lettre de Gustave
Papet, qui en contenait une de Maurice, et une de Laure Decerf, qui me
donne d'excellentes nouvelles de Solange.
Je suis donc en paix sur mes pauvres mioches; mais
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