dire que si Dieu n'existait pas on l'inventerait, c'est dire qu'on
l'invente.
[Note 65: Mallet-Dupan temoin oculaire (_Mercure Britannique_).]
C'est dire qu'on l'invente, surtout quand, comme Voltaire, on ecrit cent
volumes ou rien ne mene a lui, ni ne l'inspire, ni ne le suppose, et ou
au contraire tout, sauf strictement les pages ou il est question de
lui, l'elimine; ou ce qui frappe le plus c'est l'effort incessant pour
ecarter le surnaturel de l'histoire, du monde et de l'ame.--C'est ce qui
me faisait dire que chez Voltaire l'idee de Dieu est "en l'air" et ne
tient a rien. Elle est une exception a son positivisme habituel. Elle
est, aux regards du pur logicien, comme un repentir, une timidite, ou
une etourderie.--Et precisement l'idee de Dieu est la seule qui ne soit
rien si elle n'est pas tout, et celui-la prouve mieux qu'il la possede
qui n'en parle jamais, mais dont les idees generales, toutes et chacune,
s'y rapportent, et seraient inintelligibles s'il ne l'avait pas.--Par ou
on revient bien a dire que, comme presque toutes les idees de Voltaire,
l'idee de Dieu est une idee qu'il croit avoir, et non une idee dont il
a pris la pleine possession. C'est un des besoins de ses passions qu'il
prend pour une conception de son esprit. Il est theiste comme nous
verrons qu'il sera monarchiste, et exactement pour les memes causes. Sa
religion est une suggestion de ses terreurs et une forme de sa timidite.
Et tout cela se tiendrait encore, satisferait a peu pres l'esprit,
aurait l'air du moins d'etre raisonne, si Voltaire se donnait pour
un homme qui connait son impuissance metaphysique, s'il s'avouait
"agnostique" et declarait modestement ne point pouvoir penetrer le
secret des choses. Il le fait souvent, reconnaissons-le, pour
l'en louer. Mais son agnosticisme, comme le reste, est vacillant,
intermittent et contradictoire. Souvent il proclame qu'il y a un
inconnaissable qui nous depasse et que nous tachons en vain a atteindre.
Plus souvent il s'y elance avec une audace etourdie, et bacle une
metaphysique comme une tragedie contre Crebillon. Son esprit, vulgaire
en cela, il n'y a pas d'autre mot, et semblable aux notres, n'avait pas
besoin de certitude permanente et soutenue et qui se soutint; et avait
besoin de certitudes d'un jour et d'une heure, d'une foule de certitudes
successives, qui au bout d'un demi-siecle formaient un monceau de
contradictions. Nous en sommes tous la, je le sais bien; et c'est ce que
je dis
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