st un casse-cou continuel au milieu de nos
idees modernes habillees a l'antique. On est en l'air, partout et nulle
part, parmi des ombres qui cabriolent sans raison, qui marchent tout
d'un coup la tete en bas, sans nous prevenir. Les personnages sont
extraordinaires, mais ils pourraient etre plus extraordinaires encore,
et il faut leur savoir gre de se moderer, car il n'y a pas de raison
pour qu'ils gardent le moindre grain de bon sens. Nous sommes dans le
sublime.
Oui, dans le sublime, tout est la. M. de Bornier lape a tous coups dans
le sublime. Ses personnages sont sublimes, ses vers sont sublimes. Il
y a tant de sublime la dedans, qu'a la fin du quatrieme acte, j'aurais
donne volontiers trois francs d'un simple mot qui ne fut pas sublime.
Mais c'est justement au quatrieme acte que le sublime deborde et vous
noie. Ainsi je n'ai pas parle d'Ellak, ce fils d'Attila qui a le coeur
tendre et qui veut sauver Hildiga; quand il comprend, dans la chambre
nuptiale, qu'elle va tuer son pere, il est torture par la pensee de
prevenir celui-ci et de la livrer ainsi a sa fureur; mais Attila parle
justement de faire mourir la mere d'Ellak pour une faute ancienne, et
alors le jeune homme n'hesite plus, il livre son pere a Hildiga pour
sauver sa mere. Sublime, vous dis-je, sublime! Si ce n'etait pas
sublime, ce serait bete.
Et quel coup de sublime encore que le denoument! Attila raconte a
Hildiga le reve qu'il a fait, en la voyant en vierge qui foulait au pied
le serpent. Hildiga, flairant un piege, lui repond par un autre songe:
elle a reve qu'elle l'assassinait d'un coup de sa hache. Vous croyez
qu'Attila va se mefier et prendre ses precautions avec cette faible
femme qu'il peut ecraser d'une chiquenaude. Allons donc! Il passe avec
elle derriere un rideau, et nous l'entendons tout de suite glousser
comme un poulet qu'on egorge. C'est sublime!
Le sublime, voila la seule excuse, a ce point de dedain absolu pour tout
ce qui est vrai et humain. D'ailleurs, M. de Bornier ne se defend
pas d'avoir voulu se mettre en dehors de l'humanite. "Apres bien des
hesitations, dit-il, j'ai choisi le temps et le personnage d'Attila,
precisement parce que le temps est obscur et le personnage peu connu."
Il insiste beaucoup sur ce point que personne ne peut penetrer une ame
comme celle d'Attila. Le despote lui-meme, en parlant de l'histoire, dit
qu'elle pourra le condamner, mais non pas le connaitre.
Des lors, le poete est libre, il va se perme
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