ssade. On y sifflait avec une brutalite revoltante.
J'estime qu'il faut trois fois plus d'efforts pour derider un spectateur
de province que pour faire rire aux eclats un spectateur de Paris.
J'ai ete d'autant plus etonne de la gaiete de la salle, que l'on avait
juge _Niniche_ tres severement devant moi, le lendemain de la premiere
representation, C'etait un four, disait-on. Voila un four qui prenait
tous les airs d'un grand succes. J'avais particulierement a cote de moi
des dames, d'honnetes bourgeoises a coup sur, qui faisaient scandale,
tant elles s'amusaient. Les moindres mots, d'ailleurs, soulevaient une
tempete de joie, du parterre au cintre. Et cela ne cessait point, les
trois actes ne se sont pas refroidis un instant. Je me doute bien que
les interpretes sont pour beaucoup dans cette gaiete. D'autre part,
peut-etre suis-je tombe sur une representation exceptionnelle, sur un
soir ou toute la salle avait bien dine; il y a de ces rencontres, de ces
jours d'electricite commune, que connaissent les artistes, et qu'ils
constatent en disant: "La salle est tres chaude aujourd'hui." Mais le
fait ne m'en a pas moins preoccupe vivement.
Ai-je ri moi-meme? Mon Dieu, je crois que oui. J'avais beau me dire
que tout cela etait tres bete, que la piece avait ete faite cent fois;
j'avais beau trouver les actes vides, l'esprit grossier, le denouement
prevu a l'avance: ce grand et bon rire de la salle me gagnait. En
verite, les spectateurs sans malice s'amusaient trop pour qu'on ne
s'egayat pas de leur propre gaiete. Au fond, j'etais tres triste. Si
vraiment il suffit d'une si pauvre farce pour procurer une heureuse
soiree aux braves bourgeois parisiens, nous avons tous tres grand tort
de nous empetrer dans des questions litteraires. A quoi bon le talent,
a quoi bon l'effort, si cela satisfait pleinement le public? Je declare
que jamais je n'ai vu des gens mis dans un pareil etat de joie par les
chefs-d'oeuvre de notre theatre. Devant un chef-d'oeuvre, le public se
mefie toujours un peu; il a peur que le chef-d'oeuvre ne se moque de
lui. Mais, devant une _Niniche_, il se roule, il est comme ces enfants
qui rencontrent un trou d'eau sale et qui s'y vautrent avec delices, en
se sentant chez eux.
Oh! le rire, quelle bonne chose et quelle chose bete! Toute la sottise
est la et tout l'esprit. Contestez les merites de _Niniche_, on vous
repondra que le public s'amuse, et vous n'aurez rien a repondre, car les
theatres ne sont faits e
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