bien!
l'adorable comedie d'Alfred de Musset a ete froidement ecoulee. Cela
est un fait, et la critique, pour l'expliquer, a du s'en prendre a la
nouvelle distribution. On a trouve Clavaroche insupportable de brutalite
et de fatuite soldatesques. Fortunio a paru sournois et vicieux. Quant
a Jacqueline, elle est surement une gredine de la pire espece; elle se
donne sans amour, elle se prete a un jeu cruel et finit par changer
d'amant comme on change de chemise. Quels personnages! quelles moeurs!
Ah! vraiment, c'est a faire saigner le coeur des honnetes ecrivains, ce
public froid et scandalise, qui affecte de ne pas comprendre! Quoi de
plus profondement humain que cette histoire, dont on trouverait les
elements dans notre vieille et franche litterature! Une femme qui trompe
son mari, qui abrite ses amours derriere la tendresse tremblante d'un
petit clerc, et qui est vaincue a la fin par tant de jeunesse, de
devouement et de desespoir: n'est-ce pas le drame de la passion
elle-meme, avec une fraicheur de printemps exquise? Musset n'a jamais
ete plus railleur ni plus tendre; il a touche la le fond des coeurs. Son
oeuvre a le frisson de la vie, le charme d'une analyse de poete. Chaque
scene ouvre un monde. On ne sort pas du theatre l'ame et la tete vides,
car on emporte un coin d'humanite avec soi, sur lequel on peut rever
indefiniment.
Mais je n'ai point a louer le _Chandelier_. Je desire seulement poser
cote a cote Marguerite de Bourgogne et Jacqueline. Aupres de la reine
parricide et incestueuse, mettez la bourgeoise qui trompe simplement son
mari, et demandez-vous pourquoi la seconde revolte une salle, tandis que
la premiere fait le regal du public. C'est que Jacqueline n'est pas en
carton, c'est qu'elle est la femme tout entiere. On la sent vivre dans
ses froides coquetteries, dans la facon dont elle joue de son mari,
surtout dans cet eclat de passion qui l'anime et la transfigure au
denouement. Elle vit: des lors, elle est indecente. Voila ce que je
voulais demontrer.
Que la _Tour de Nesle_ reste dans notre musee dramatique, comme
l'expression curieuse de l'art d'une epoque, je l'accorde volontiers.
Mais que l'on dise aux jeunes auteurs: "Faites-nous des _Tour de
Nesle_," c'est ce que je me permets de trouver tres facheux. Certes, il
n'est pas un ecrivain qui ne prefererait avoir fait le _Chandelier_.
Cette comedie peut manquer completement de mecanique dramatique, elle
n'en a pas moins l'eternelle jeunesse; elle
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