premier acte de _Jane_. Cela etait tres saisissant, en effet. Une femme
venait d'etre violee. La toile se levait, et on la voyait evanouie apres
l'attentat, revenant lentement a elle, avec l'horreur du souvenir qui
s'eveillait. Puis, lorsque son mari entrait, elle lui disait tout, dans
une scene tres puissante. Mais comme cela etait gate par la langue,
comme l'auteur tirait un pauvre parti de la situation, uniquement parce
qu'il ne savait pas la developper! Donnez ce premier acte a un ecrivain,
el vous verrez quel tableau complet il en fera. Cela deviendra une
tragedie eternelle de verite et de beaute.
La conclusion est aisee. Touroude ne vivra pas, parce qu'il n'a pas ete
ecrivain. Le don du theatre n'est rien sans le style. Il peut arriver
qu'une piece solidement fabriquee ait un succes; mais ce succes est une
surprise et ne saurait durer, si la piece manque de merite litteraire.
VI
On se souvient du succes obtenu autrefois par _Jean la Poste_, le gros
melodrame de M. Dion Boucicault, adapte a la scene francaise par M.
Eugene Nus. L'Ambigu a repris dernierement ce melodrame.
Je ne le connaissais pas, j'ai donc pu le juger dans toute la fraicheur
d'une premiere impression. Eh bien! mon sentiment, pendant les dix
tableaux, a ete un sentiment de grande tristesse. Je trouve absolument
facheux que, sous pretexte de lui plaire, on serve au peuple des oeuvres
d'un art si inferieur, ou la verite est blessee a chaque scene, ou l'on
ne saurait sauver au passage dix phrases justes et heureuses.
Je comprends d'ailleurs tres bien le succes d'une pareille machine. Rien
n'est plus touchant que l'intrigue: cette Nora se laissant accuser de
vol pour sauver un proscrit, un noble dont elle est la soeur naturelle,
et ce Jean se devouant pour sa fiancee Npra, prenant le vol a son
compte, se faisant condamner a etre pendu. Cela remue les plus beaux
sentiments: l'amour, l'abnegation, le sacrifice. Ajoutez que le traitre
Morgan est precipite dans la mer au denoument, tandis que Jean peut
enfin consommer son mariage en brave et honnete garcon. Et le succes a
d'autres raisons encore: deux tableaux sont tres vivants, tres bien mis
en scene; celui de la noce irlandaise, avec ses fleurs et ses couplets
alternes, et celui du conseil de guerre, ou le public joue un role si
familier et si bruyant. Enfin, il y a le decor machine de la fin: Jean
s'echappant de son cachot, montant le long de la tour pour rejoindre
Nora qui chante sur la pl
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