esie s'y moque des regles. N'est-ce pas la pourtant du
theatre exquis, autrement serieux au fond que le theatre bien charpente?
Quel est l'auteur qui n'aimerait pas mieux avoir ecrit _On ne badine
pas avec l'amour_, que telle ou telle piece, inutile a nommer, balie
solidement selon les regles du theatre contemporain?
J'ai toujours ete tres etonne qu'un public lettre ne se contentat pas au
theatre d'une belle langue, d'une composition litteraire developpee par
un poete ou par un penseur. Au dix-septieme siecle, on discutait les
vers d'une tragedie, la philosophie et la rhetorique de l'oeuvre, sans
demander a l'auteur s'il avait, oui ou non, Je don du theatre.
Est-il donc si difficile de passer une soiree dans un fauteuil, a
ecouter de la belle prose, savamment ecrite, et a regarder une action
qui se deroule selon le caprice de l'ecrivain? Que cette action aille a
gauche ou a droite, qu'importe! Elle peut meme cesser tout a fait, l'art
reste, qui suffit a passionner. Avec un poete, avec un penseur, on ne
saurait s'ennuyer, on le suit partout, certain de pleurer ou de rire.
Mais non, les choses ont change. On ne s'asseoit plus que bien rarement
dans un fauteuil pour gouter un plaisir litteraire. En dehors du style,
en dehors des peintures humaines, on demande les secousses d'une
intrigue. On s'est habitue a la recreation d'un spectacle mouvemente, la
routine est venue, les pieces qui sortent du patron adopte paraissent
ennuyeuses ou bizarres. Et ce n'est pas seulement le gros public qui a
besoin aujourd'hui de ces parades de foire, le public delicat lui-meme
a ete atteint et reclame des oeuvres amusantes comme des histoires
de revenants ou de voleurs. La litterature ne suffit plus, elle fait
bailler.
Ajoutez a cela notre esprit latin, notre besoin de symetrie, et vous
comprendrez comment le theatre est devenu chez nous un probleme
d'arithmetique, une maniere d'accommoder un fait, de la meme facon qu'on
resout une regle de trois. Un code a ete ecrit, les auteurs dramatiques
sont devenus des arrangeurs, se moquant de la verite, de la litterature
et du bon sens.
Alfred Touroude est donc, selon moi, une victime du metier. La critique,
en declarant solennellement qu'il avait le don, l'a gonfle d'un orgueil
immense. Des lors, il s'est cru le maitre du theatre, il s'est enfonce
dans les sujets les plus etranges, il s'est imagine qu'il lui suffisait
de charpenter un fait pour composer un chef-d'oeuvre. Je me souviens du
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