fait une si etrange idee du
theatre. Et encore cette idee date-t-elle uniquement de ce siecle. Notre
critique a rabaisse la question au point de vue des besoins de la foule.
Il faut des spectacles, et l'on a imagine une formule expeditive pour
fabriquer des spectacles qui puissent plaire au plus grand nombre. De
cette maniere, notre critique s'occupe seulement de la fabrication
courante, des pieces qui alimentent, au jour le jour, nos scenes
populaires, de cette masse enorme d'oeuvres de camelote destinees a
vivre quelques soirees et a disparaitre pour toujours. La necessite du
metier est nee de la. Le pis est que la critique veut ramener au metier
les ecrivains d'esprit libre qui cherchent ailleurs et veulent devant
eux le champ vaste des compositions originales.
Cherchez dans notre histoire litteraire, vous ne trouverez pas ce mot de
metier avant Scribe. C'est lui qui a invente l'article Paris au theatre,
les vaudevilles bacles a la douzaine d'apres un patron connu. Est-ce que
Moliere savait "le metier"? On l'accuse aujourd'hui de ne jamais avoir
trouve un bon denouement. Est-ce que Corneille se doutait de la facon
compliquee dont on doit charpenter une oeuvre dramatique? Le pauvre
grand homme disait simplement et fortement ce qu'il avait a dire, ses
tragedies etaient de purs developpements litteraires.
Il y a plus, tout ce qui vit au theatre, tout ce qui reste, c'est
le morceau de style, c'est la litterature. Notre theatre classique,
Moliere, Corneille, Racine, est un cours de grammaire et de rhetorique.
Certes, personne ne s'avise de celebrer l'habilete de la charpente,
tandis que tout le monde se recrie sur les beautes du style. Un exemple
plus frappant encore est celui du _Mariage de Figaro_. La, Beaumarchais
a ete habile, complique, savant dans la facon de nouer et de denouer sa
piece. Mais qui songe aujourd'hui a lui faire un honneur de sa science?
L'adresse du metier est devenue le petit cote de la piece, les
passages celebres sont les tirades de Figaro, l'au dela litteraire et
philosophique de l'oeuvre. Et l'on pourrait continuer cette revue. J'ai
souvent demande aux critiques de bonne foi de m'indiquer une piece
que le seul metier du theatre ait fait vivre. Quant a moi, je leur en
citerai une douzaine, auxquelles l'art d'ecrire a souffle une eternelle
vie. Ne prenons que les adorables proverbes de Musset. La fantaisie y
tient lieu de science, les scenes s'en vont a la debandade dans le pays
du bleu, la po
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