avait prouve son
impuissance, des sa troisieme ou quatrieme piece. Il decourageait
ceux qui esperaient en son temperament, il montrait de plus en plus
l'impossibilite radicale ou il etait de mettre debout une oeuvre
litteraire. Chaque nouveau pas etait une chute. Quand il est mort,
a moins d'un de ces prodiges de souplesse dont sa nature brutale ne
semblait guere capable, on n'osait plus attendre de lui une de ces
oeuvres completes et decisives qui classent un homme.
Et veut-on savoir ou etait sa plaie, a mon sens? Il ne savait pas
ecrire, il fabriquait ses pieces comme un menuisier fabrique une table,
a coups de scie et de marteau. Son dialogue etait stupefiant de phrases
incorrectes, de tournures ampoulees et ridicules. Et il n'y avait pas
que le style qui montrat le plus grand dedain de l'art, la contexture
des pieces elle-meme indiquait un esprit depourvu de litterature,
incapable d'un arrangement equilibre de poete. Il faisait en un mot du
theatre pour faire du theatre, comme certains critiques veulent qu'on en
fasse, sans se soucier d'autre chose que de la mecanique theatrale.
Quel exemple plein d'enseignements, si les critiques en question
voulaient bien etre logiques! Je leur ai entendu dire que Touroude avait
le don, c'est-a-dire qu'il apportait ce metier du theatre, sans lequel,
selon eux, on ne saurait ecrire une bonne piece. Un joli don, en verite,
si ce don conduit aux derniers drames de Touroude! On voit par lui a
quoi sert de naitre auteur dramatique, lorsqu'on ne nait pas en meme
temps ecrivain et poete. Il serait grand temps de proclamer une verite:
c'est qu'en litterature, au theatre comme dans le roman, il faut d'abord
aimer les lettres. L'ecrivain passe le premier, l'homme de metier ne
vient qu'au second rang.
Je retombe ici dans l'eternelle querelle. Notre critique contemporaine a
fait du theatre un terrain ferme ou elle admet les seuls fabricants, en
consignant a la porte les hommes de style. Le theatre est ainsi devenu
un domaine a part, dans lequel la litterature est simplement toleree.
D'abord, sachez-fabriquer une machine dramatique selon le gout du
jour; ensuite, ecrivez en francais si vous pouvez, mais cela n'est pas
absolument necessaire. Meme cela gene, car il est passe en axiome qu'un
ecrivain de race est un geneur sur les planches; les directeurs se
sauvent, les acteurs sont paralyses, jusqu'au pompier de service qui
sourit avec mepris!
Il n'y a qu'en France, a coup sur, qu'on se
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