range aussi, c'est la facon dont le roi tire
sur le peuple. Il dirige d'abord son arme sur Henri de Navarre, puis
reculant pour ne pas ceder a une pensee criminelle, il s'ecrie: "Il faut
pourtant que je tue quelqu'un!" Et il tire par la fenetre. Remarquez que
le Charles IX du drame est un personnage sympathique; les auteurs ne lui
ont donne que cet acces de ferocite, pour utiliser la legende: c'est un
placage visible, d'un effet qui consterne. Le pis est qu'on charge si
fortement l'arquebuse, afin d'emouvoir la salle sans doute, que le roi a
l'air de tirer un coup de canon.
La partie la plus puissante du drame est l'empoisonnement de Charles IX,
a l'aide d'un livre de chasse, dont Catherine de Medicis a trempe les
pages dans une solution d'arsenic et qu'elle destinait a Henri de
Navarre. La fatalite vengeresse veut que la mere tue ainsi son propre
fils. Ajoutez que le duc d'Alencon, le frere du roi, surprenant celui-ci
en train de s'empoisonner, en mouillant son doigt afin de tourner les
pages, le laisse tranquillement continuer, jugeant l'occasion bonne pour
monter sur le trone. Une famille interessante, vraiment! A ce propos, je
faisais une reflexion. Pourquoi, au theatre, permet-on tous les crimes
dans les familles royales? Le theatre classique nous montre les rois
grecs s'egorgeant entre eux avec la plus belle facilite du monde. Les
drames romantiques abusent aussi des rois chenapans. Dans les drames
bourgeois, au contraire, les trop gros crimes indignent la salle. Sans
doute, il faut porter couronne pour etre un gredin a son aise.
Je ne parle toujours pas de verite. Rien n'est plus comique, au fond,
que ce roi empoisonne qui se promene encore dans une demi-douzaine de
tableaux, avec des acces de coliques de temps a autre. Il finit par
savoir qu'il a de l'arsenic dans le corps, et Rene, un savant medecin,
lui ayant dit qu'il n'y avait rien a faire, il ne fait rien pour lutter
contre la mort. Cela est inacceptable, l'arsenic est un poison que l'on
combat parfaitement. J'ai ete obsede par cette idee pendant toute la
deuxieme partie du drame: "Mais pourquoi Charles IX n'est-il pas dans
son lit?" C'est un souci vulgaire, une preoccupation bourgeoise, je le
sais; mais je ne puis rien contre les habitudes de mon esprit. Lisez
donc _Madame Bovary_, voyez comment on meurt par l'arsenic, vous me
direz ensuite si Charles IX n'est pas tres drole. Non seulement aucun
des symptomes n'est observe, mais encore il est impossible
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