ns quoi il est foudroye par les critiques vertueux. Or, il y a,
dans la _Tour de Nesle_, le plus incroyable entassement d'infamies qu'on
puisse rever. Cela atteint presque a l'horreur des tragedies grecques.
Je ne parle pas de ce passe-temps que prend une reine de France, a noyer
tous les matins ses amants d'une nuit. Simple peccadille, lorsque l'on
songe que la reine en question a fait assassiner son pere et s'oublie
dans les bras de ses fils. Eh bien! toutes ces abominations sont
parfaitement tolerees par le public. C'est a peine si les critiques
reactionnaires osent reclamer, pour le principe.
Habilete supreme du genie, disent les enthousiastes. Il fallait MM.
Dumas et Gaillardet pour deguiser ainsi l'ordure. Vraiment! J'imagine,
moi, que le bois dont ils ont fabrique leurs bonshommes, les a
singulierement servis en cette affaire. Comment voulez-vous qu'on se
fache contre des pantins? Il est trop visible que ce ne sont pas la
des etres vivants, mais de purs mannequins allant et venant au gre des
combinaisons sceniques. Le mouvement n'est pas la vie. Puis, toute cette
histoire reste dans la legende. Au fond, il s'agit d'un conte pareil a
celui du _Petit Poucet_, et personne ne s'est jamais avise de trouver
l'ogre immoral. Marguerite de Bourgogne, se vautrant dans le meurtre et
la debauche, fait simplement son metier de monstre en carton. Elle peut
epouvanter une minute l'imagination des spectateurs; mais, des qu'elle
est rentree dans la coulisse, elle n'est plus, elle n'a meme pas la
realite d'une fiction logiquement deduite.
Voila ce qui explique pourquoi les horreurs des drames romantiques ne
blessent personne: c'est qu'on ne sent pas l'humanite engagee dans
l'affaire, tellement les coquins et les coquines y sont hors de toute
realite. Si MM. Dumas et Gaillardet avaient mis debout une Marguerite de
Bourgogne en chair et en os, au lieu de cette etrange reine de France
qui court si drolement le guilledou, vous entendriez les protestations
indignees de la salle. J'ose meme dire que plus ils ont charge cette
figure de crimes, et plus ils l'ont rendue acceptable. Au dela d'une
certaine limite, lorsqu'il entre dans la fable, le mal est un plaisir
dont la foule se regale. Mettez une bourgeoise qui trompe son mari un
peu crument, le public se fachera, parce qu'il sentira que cela est
vrai.
Un hasard a voulu que la Comedie-Francaise eut repris le _Chandelier_,
juste une semaine avant la reprise de la _Tour de Nesle_. Eh
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