n'a ete fourni
sur la nature et sur l'humanite.
J'ai appele cet art un art mecanique. Je ne saurais le definir plus
exactement. Tout y est ramene a la confection d'une machine, dont les
pieces s'emboitent d'une facon mathematique. Le chef-d'oeuvre du genre
sera le drame ou les personnages, reduits a l'etat de rouages, n'auront
plus en eux aucune humanite et garderont le seul mouvement qui
conviendra a la poussee de l'ensemble. Ils ne parleront plus, ils
lanceront uniquement le mot necessaire. Ils seront la, non pour vivre,
mais pour resumer des situations. On les aplatira, on les allongera, on
fera d'eux du zinc ou de la chair a pate, selon les besoins. Et les gens
du metier s'extasient. Quelle facture! quelle entente du theatre! quel
genie!
Vraiment, il faudrait s'entendre. Cet enthousiasme pour un art tres
inferieur en somme me parait malsain. Certes, je ne songe pas a nier la
puissance toute physique du melodrame romantique. Mais vouloir faire de
cette formule la formule de notre theatre national, dire d'une facon
absolue: "Le theatre est la," c'est pousser un peu loin l'amour de la
mecanique dramatique. Non, certes, le theatre n'est pas la: il est ou
sont Eschyle, Shakespeare, Corneille et Moliere, dans les larges et
vivantes peintures de l'humanite. On ne veut pas comprendre que nous
pataugeons aujourd'hui dans la boue des intrigues compliquees. Notre
theatre se relevera le jour ou l'analyse reprendra sa large place, ou
le personnage, au lieu d'etre ecrase et de disparaitre sous les faits,
dominera l'action et la menera.
Quel critique dramatique oserait dire a un debutant: "Lisez la _Tour du
Nesle_", lorsqu'il peut lui dire: "Lisez _Tartufe_, lisez _Hamlet_." Ce
qui m'irrite, c'est cette passion du succes brutal et immediat, c'est
cette odieuse cuisine qui cache jusqu'a la vue des chefs-d'oeuvre. On
fait du theatre une simple affaire de poncifs, lorsque les litteratures
des peuples sont la pour temoigner qu'il n'y a pas d'absolu dans l'art
dramatique et que le talent peut tout y inventer. Chaque fois qu'on
voudra vous enfermer dans un code en declarant: "Ceci est du theatre,
ceci n'est pas du theatre," repondez carrement: "Le theatre n'existe
pas, il y a des theatres, et je cherche le mien."
Mais je trouve surtout, dans la _Tour de Nesle_, de bien curieuses
remarques a faire au sujet de la moralite de la piece. Vous savez quel
role on fait jouer aujourd'hui a la moralite. Il faut qu'un drame soit
moral, sa
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