de la societe,
qui les a combles d'honneurs et d'argent. Tous blagueurs!
J'ai entendu defendre Chatterton d'une facon bien hypocrite. Oui sans
doute, dit-on, le personnage est demode, mais quel temps regrettable il
rappelle! En ce temps-la, on croyait a l'ame, on etait plein d'elan, on
aspirait en haut, on elargissait l'horizon de la foi et de la poesie.
Quelle plaisanterie enorme! La verite est que le mouvement de 1830 a ete
superbe comme mise en scene. Si l'on gratte les personnages factices, on
reste stupefait en arrivant aux hommes vrais. Ils ne valaient pas plus
que nous, soyez-en surs; meme beaucoup valaient moins. Il y a eu bien
de la vilenie derriere cette pompe Qu'on ne nous force pas a des
comparaisons, car nous repondrions avec severite. Nous autres, nous
croyons a la verite, nous sommes pleins de courage et de force, nous
aspirons a la science, nous elargissons l'enquete humaine, sur laquelle
seront basees les lois de demain. Eux autres, ils nient le present, que
nous affirmons. De quel cote sont la virilite et l'espoir? Et qu'on
attende: aux oeuvres, on mesurera les ouvriers!
Certes, le romantisme est bien mort. Je n'en veux pour preuve
que l'attitude stupefiee des spectateurs, l'autre soir, a la
Comedie-Francaise. Pendant les deux premiers actes surtout, on se
regardait, on se tatait. Chatterton faisait l'effet d'un habitant de la
lune tombe parmi nous. Que voulait donc ce monsieur, qui se desesperait,
sans qu'on sut pourquoi, et qui se fachait de tirer de son travail un
gain legitime? Le quaker paraissait tout aussi surprenant. Etrange, ce
quaker qui lache, sans crier gare, des maximes a se faire immediatement
sauter la cervelle! Pourquoi diable se promene-t-il la dedans! Quant a,
John Bell, le tyran, le mari implacable, il est certainement le seul
personnage sympathique de la piece. Au moins celui-la travaille, et il
apparait comme un sage au milieu de tous les fous qui l'entourent.
On s'extasie beaucoup sur la figure de Ketty Bell. C'est une des
creations les plus pures, dit-on, qui soient dans notre theatre. Je le
veux bien. Mais ce personnage est un personnage negatif; j'entends que
la purete, la resignation, la tendresse discrete de Ketty sont obtenues
par un effacement continu. Jusqu'au dernier acte, elle n'a pas une scene
en relief. C'est une declamation a vide sans arret. Elle n'agit pas,
elle se raidit dans une attitude. Le personnage, dans ces conditions,
devient une simple silhouette et n
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