il faudra etudier ce
personnage navrant et comique. Il n'est pas un des panaches du temps que
Chatterton ne se plante sur la tete. Il les a tous, il semble avoir fait
la gageure d'epuiser le ridicule et l'odieux. Il chante la solitude, il
maudit la societe, il traine a dix-huit ans un coeur las et desabuse, il
a des bottes molles, il se tord les bras a l'idee de faire des vers pour
les vendre, il passe la nuit a gesticuler et a embrasser le portrait de
son pere en cheveux blancs, il se tue enfin par monomanie, uniquement
pour attraper la societe. Chatterton est un polisson, voila mon avis
tout net.
Qu'on fasse des bonshommes en carton, et qu'ils soient droles, passe
encore! cela ne tire pas a consequence. Mais qu'on vienne troubler et
empoisonner les volontes jeunes avec ce fantoche funebre, avec ce pantin
aussi faux que dangereux, voila ce qui souleve en moi toute ma virilite!
Le poete est un travailleur comme un autre. Dans le combat de la vie,
s'il triomphe, tant mieux! s'il tombe, c'est sa faute! La societe ne
doit pas plus d'aide et de pitie au poete qu'elle n'en doit au boulanger
et au forgeron. Il n'y a pas de pontife, il n'y a que des hommes, et
l'energie fait aussi bien partie du talent que le don des vers. Le genie
est toujours fort.
Comment! on vient nous parler de mort, au seuil de ce siecle! Nous
revivons, nous entrons dans un age d'activite colossale, nous sommes
tous pris d'un besoin furieux d'action, et il y a la un pleurard, un
polisson qui se tue et qui tue par la meme la femme dont il a trouble
la cervelle. Mais c'est un double meurtre, c'est une lachete et une
infamie! Que dirait-on d'un soldat qui, en face de l'ennemi, se
dechargerait son fusil dans la tete? La nouvelle generation litteraire
n'a qu'a pousser dedaigneusement du pied le cadavre de Chatterton, pour
passer et aller a l'avenir.
D'ailleurs, c'etait la une pose, pas davantage. La vanite etait grande,
en 1830; et, naturellement, les poetes se taillaient eux-memes le role
qu'il leur plaisait de jouer. La mode etait au degout de la vie, au
mepris de l'argent, aux invectives contre la societe; mais, en somme,
les poetes--et je parle des plus grands--faisaient tres bon menage
avec tout cela. Malgre leur desesperance et leur amour de la mort, ces
messieurs ont presque tous vecu tres vieux; en outre, leur mepris de
l'argent n'est pas alle jusqu'a leur faire refuser, les sommes enormes
qu'ils ont gagnees, et ils se sont tres bien accommodes
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