ument que l'on laisse. Autour
de soi, on a vu tomber les reputations de carton, les succes officiels.
C'est une grande consolation que de se dire, dans toutes les miseres,
que la vogue est passagere et qu'en somme, quelles que soient les
legeretes et les injustices du public, une heure vient ou seules les
grandes oeuvres restent debout. Malheur a ceux qui reussissent trop,
telle est la morale du cas de M. Offenbach!
LES REPRISES
I
C'est avec une profonde stupeur que j'ai ecoute _Chatterton_, le drame
en trois actes d'Alfred de Vigny, dont la Comedie-Francaise a eu
l'etrange idee de tenter une reprise. La piece date de 1835, et les
quarante-deux annees qui nous separent de la premiere representation
semblent la reculer au fond des ages.
Dans quel singulier etat psychologique etait donc la generation d'alors,
pour applaudir une pareille oeuvre? Nous ne comprenons plus, nous
restons beants devant ce poeme des ames incomprises et du suicide
final. Chatterton, on ne sait trop pourquoi, traque par ses creanciers
peut-etre, mais cedant aussi a la passion de la solitude, s'est refugie
chez un riche manufacturier, John Bell, qui lui loue une chambre. Ce
John Bel, un brutal, tyrannise sa femme, l'honnete et resignee Ketty. Et
toute la situation dramatique se trouve dans l'amour discret et pur
du poete et de la jeune femme, amour dont l'aveu ne leur echappe qu'a
l'heure supreme, lorsque Chatterton, ecrase par la societe, voulant se
reposer dans la mort, vient d'avaler un flacon d'opium.
Pour comprendre cette etonnante figure de Chatterton, il faut avant tout
reconstruire l'idee parfaite du poete, telle que la generation de 1830
l'imaginait. Le poete etait un pontife et la poesie un sacerdoce. Il
officiait au-dessus de l'humanite, qui avait le devoir de l'adorer a
genoux. C'etait un messie traversant les foules, avec une etoile au
front, remplissant une fonction sacree, dont tout l'or de la terre
n'aurait pu le payer. Ajoutez que le poete devait etre un personnage,
fatal, un fils de Rene, de Manfred et de tous les grands melancoliques,
portant un orage dans sa tete pale, expiant la passion humaine par une
blessure toujours ouverte a son flanc. Il etait beau et providentiel, il
montait son calvaire au milieu des huees, pur comme un ange et sombre
comme un bandit. Un cabotin sublime, en un mot.
L'ideal du genre a ete le Chatterton, d'Alfred de Vigny. Quand on voudra
connaitre la caricature superbe du poete de 1830,
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