s, quand ils ont cesse de
l'amuser. On est devenu vieux, on a fait le reve d'une longue gloire,
aveugle sur sa propre valeur par les fumees de l'encens le plus
grossier, et un jour tout croule, la gloire est un tas de boue, on se
voit enterre avant d'etre mort. Je ne connais pas de vieillesse plus
abominable.
Puisque je suis tourne a la morale, je tirerai une conclusion de cette
aventure. Le succes est meprisable, j'entends ce succes de vogue qui met
les refrains d'un homme dans la bouche de tout un peuple. Etre seul,
travailler seul, il n'y a pas de meilleure hygiene pour un producteur.
On cree alors des oeuvres voulues, des oeuvres ou l'on se met tout
entier; dans les premiers temps, ces oeuvres peuvent avoir une saveur
amere pour le public, mais il s'y fait, il finit par les gouter.
Alors, c'est une admiration solide, une tendresse qui grandit a chaque
generation. Il arrive que les oeuvres, si applaudies dans l'eclat
fragile de leur nouveaute, ne durent que quelques printemps, tandis
que les oeuvres rudes, dedaignees a leur apparition, ont pour elles
l'immortalite. Je crois inutile de donner des exemples.
Je dirai aux jeunes gens, a ceux qui debutent, de tolerer avec patience
les succes voles dont l'injustice les ecrase. Que de garcons, sentant
en eux le grondement d'une personnalite, restent des heures, pales et
decourages, en face du triomphe de quelque auteur mediocre! Ils se
sentent superieurs, et ils ne peuvent arriver a la publicite, toutes
les voies etant bouchees par l'engouement du public. Eh bien! qu'ils
travaillent et qu'ils attendent! Il faut travailler, travailler
beaucoup, tout est la; quant au succes, il vient toujours trop vite, car
il est un mauvais conseiller, un lit dore ou l'on cede aux lachetes.
Jamais on ne se porte mieux intellectuellement que lorsqu'on lutte. On
se surveille, on se tient ferme, on demande a son talent le plus grand
effort possible, sachant que personne n'aura pour vous une complaisance.
C'est dans ces periodes de combat, quand on vous nie et qu'on veut
affirmer son existence, c'est alors qu'on produit les oeuvres les plus
fortes et plus intenses. Si la vogue vient, c'est un grand danger; elle
amollit et ote l'aprete de la touche.
Il n'y a donc pas, pour un artiste, une plus belle vie que vingt
ou trente annees de lutte, se terminant par un triomphe, quand la
vieillesse est venue. On a conquis le public peu a peu, on s'en va dans
sa gloire, certain de la solidite du mon
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