n somme que pour amuser le public. En voyant
cette salle rire a ventre deboutonne d'inepties dont on serait revolte,
si on les lisait chez soi, on se sent ebranle dans ses convictions les
plus cheres, on se demande si le talent n'est pas inutile, s'il y a a
esperer qu'une oeuvre forte touche jamais autant les spectateurs dans
leurs instincts secrets qu'une parade de foire. Le theatre serait donc
cela? Les effluves d'une foule mise en tas, l'aveuglement du gaz, l'air
surchauffe d'une salle trop etroite, l'odeur de poussiere, toutes
les sollicitations et toutes les demi-hallucinations d'une journee
d'activite terminee dans un fauteuil dont les bras vous etouffent et
vous brulent, ce serait donc la cette atmosphere du theatre qui deforme
tout et empeche le triomphe du vrai sur les planches?
J'ai eu ainsi la sensation tres nette de l'inferiorite de la litterature
dramatique. En verite, l'oeuvre ecrite est plus large, plus haute, plus
degagee de la sottise des foules que l'oeuvre jouee. Au theatre, le
succes est trop souvent independant de l'oeuvre. Une rencontre suffit,
une interpretation heureuse, une plaisanterie qui est dans l'air, une
betise tournee d'une certaine facon qui repond a la betise du moment. Si
le rire ou les larmes prennent,--je ne fais pas de difference, car les
larmes sont une autre forme de la bonhomie du public,--voila la piece
lancee, il n'y a plus de raison pour qu'elle s'arrete. Depuis deux ans
bientot, je querelle mes confreres pour leur prouver qu'ils font du
theatre une chose trop sotte. Mon Dieu! est-ce qu'ils auraient raison,
est-ce que ce serait reellement si sot que cela?
Maintenant, il me faut juger _Niniche_. Grande affaire. J'avoue que je
ne sais par quel bout commencer. Il y a, en critique dramatique, toute
une ecole qui, dans un cas pareil, se tire d'embarras le plus galamment
du monde. La recette consiste a ne pas parler de la piece, a enfiler de
jolies phrases sur ceci et sur cela, jusqu'a ce que le feuilleton soit
plein. Puis, on signe. Je crois que Theophile Gautier a ete l'inventeur
de l'article a cote. Il maniait la langue avec l'aisance et l'adresse
que l'on sait, il etait toujours sur de charmer son public. Aussi la
piece ne l'inquietait-elle jamais. Il avait des formules toutes faites,
il admirait tout, les petits vaudevilles et les grandes comedies,
enveloppant le theatre entier dans son large dedain. Gautier a laisse
des eleves.
Le malheur est que je ne puis entendre la cr
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