abas. Il se nourrit de vol, il epouse la fille d'un roi,
par une serie de stratagemes qui, de nos jours, meneraient tout droit un
gendre sur les bancs de la police correctionnelle. Et l'on ose mettre
de pareilles histoires entre les mains des enfants? On veut donc qu'ils
deviennent des escrocs? Ils ne sauraient prendre la que le gout des
chemins tortueux. La conclusion du conte est, en somme, que pour reussir
l'habilete vaut mieux que l'honnetete.
O siecle pudique et moral, ou les bourgeois ont peur des oeuvres ecrites
comme les femmes laides ont peur des miroirs! Au theatre, on exige que
la vertu soit recompensee. Dans le roman, on veut deux nobles ames
contre une ame basse, de meme que dans certaines confitures de fruits
amers il faut deux livres de sucre contre une livre de fruits. Cela
est tout nouveau, c'est une fievre d'hypocrisie a l'etat aigu. Et les
symptomes sont nombreux, les choses les plus naturelles deviennent
indecentes, lorsqu'on a une preoccupation continue de l'indecence. Rien
de pareil dans la belle sante sanguine des siecles passes. Sans remonter
a Rabelais, lisez La Fontaine et Moliere, tout le seizieme siecle et
tout le dix-septieme, vous ne trouverez nulle part ce prurit de morale,
qui semble etre la demangeaison de nos vices. On riait haut, on parlait
de tout, meme devant les dames; personne ne croyait qu'il fut necessaire
de surveiller a chaque heure sa propre honnetete et celle du voisin. On
etait de braves gens, cela allait de soi. Pour le reste, on aimait la
vie et on ne boudait pas contre ce qui vivait.
Est-ce parce que les contes de Perrault sont juges d'une morale trop
elastique que les auteurs du _Chat botte_ n'ont pas suivi ce conte a la
lettre? Cela est possible. Pour que le conte fut exemplaire aujourd'hui,
il faudrait y introduire un honnete pretendant a la main de la jeune
princesse, un ingenieur, de moeurs parfaites et ayant conquis tous ses
grades dans les concours et les examens; au denouement, ce serait lui
qui, par son merite, deviendrait le gendre du roi, apres avoir confondu
ce filou de Chat botte et son marquis d'occasion. Cela ferait pamer nos
demoiselles. Je plaisante, et une colere me prend, a la pensee de
ce "comme il faut" litteraire, qui aurait noye pour un siecle notre
litterature, si des esprits entetes n'avaient resiste. Pauvre chat
botte, qui aimera encore ta grace feline, ta sournoiserie pleine de
sauts brusques, ton art de vivre, gros et gras, sur la paresse et
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