. Sans lui, elle
n'aurait jamais eu un si absolu triomphe. Il faut ajouter qu'il a ete
singulierement seconde par MM. Meilhac et Halevy, dont les livrets
resteront comme des modeles. Ils ont cree le genre, avec un
grossissement force du grotesque, mais en gardant un esprit tres
parisien et une finesse charmante dans les details. On peut dire de
leurs operettes qu'elles sont d'amusantes caricatures, qui se haussent
parfois jusqu'a la comedie. Quant a leurs imitateurs, que je ne veux
pas nommer, ce sont eux qui ont traine l'operette a l'egout. Et quels
etranges succes, faits d'on ne sait quoi, qui s'allument et qui brulent
comme des trainees de poudre! On peut le definir: la rencontre de la
mediocrite facile d'un auteur avec la mediocrite complaisante d'un
public. Les mots qui entrent dans toutes les intelligences, les airs qui
s'ajustent a toutes les voix, tels sont les elements dont se composent
les engouements populaires.
On nous fait esperer la mort prochaine de l'operette. C'est, en effet,
une affaire de temps, selon les hasards de la mode. Helas! quand on en
sera debarrasse, je crains qu'il ne pousse sur son fumier quelque autre
champignon monstrueux, car il faut que la betise sorte quand meme, comme
les boutons de la gale; mais je doute vraiment que nous puissions etre
affliges d'une demangeaison plus desagreable.
V
Quelle maratre que la vogue! Comme elle devore en quelques annees
ses enfants gates! Le cas de M. Offenbach est fait pour inspirer les
reflexions les plus philosophiques.
Songez donc! M. Offenbach a ete roi. Il n'y a pas dix ans, il regnait
sur les theatres; les directeurs a genoux, lui offraient des primes
sur des plats d'argent; la chronique, chaque malin, lui tressait
des couronnes. On ne pouvait ouvrir un journal sans tomber sur des
indiscretions relatives aux oeuvres qu'il preparait, a ce qu'il avait
mange a son dejeuner et a ce qu'il mangerait le soir a son diner. Et
j'avoue que cet engouement me semblait explicable, car M. Offenbach
avait cree un genre; il menait avec ses flonflons toute la danse d'une
epoque qui aimait a danser. Il a ete et il restera une date dans
l'histoire de notre societe.
Il y a dix ans! et, bon Dieu! comme les temps sont changes! Il faut
se souvenir que ce fut lui qui conduisit le cancan de l'Exposition
universelle de 1867. Dans tous les theatres, on jouait de sa musique.
Les princes et les rois venaient en partie fine a son bastringue. Plus
d'une Altesse,
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