plus beaux theatres, de jeter au ruisseau les livrets stupides,
dont l'esprit consiste dans des calembours rances et dans des coups de
pied au derriere, les partitions vulgaires qui chantent toutes les memes
turlututus de foire, les trucs vieillis, les decors trop somptueux qui
ruissellent d'un or imbecile et bourgeois! On rendrait nos theatres aux
grands poetes, aux grands musiciens, a toutes les imaginations larges.
Dans notre enquete moderne, apres nos dissections de la journee, les
feeries seraient, le soir, le reve eveille de toutes les grandeurs et de
toutes les beautes humaines.
II
J'avoue donc ma tendresse pour la feerie. C'est, je le repete, le seul
cadre ou j'admets, au theatre, le dedain du vrai. On est la en pleine
convention, en pleine fantaisie, et le charme est d'y mentir, d'y
echapper a toutes les realites de ce bas monde.
Et quel joli domaine, cette contree du reve peuplee de genies
bienfaisants et de fees mechantes! Les princesses et les bergers, les
servantes et les rois y vivent dans une familiarite attendrie, s'aimant,
s'epousant les uns les autres. Quand une montagne, un gouffre, un
univers fait obstacle aux amours des heros, la montagne est engloutie,
le gouffre se comble, l'univers s'envole en fumee, et les heros sont
heureux. Il n'y a plus de peripeties sans issue, de denouements
impossibles, car les talismans facilitent les combinaisons des fables
les plus extravagantes. Jamais les auteurs ne se trouvent accules par la
vraisemblance et la logique; ils peuvent aller dans tous les sens, aussi
loin qu'ils veulent, certains de ne se heurter contre aucune muraille.
Un coup de baguette, et la muraille s'entr'ouvre.
On peut dire que la feerie est la formule par excellence du
theatre conventionnel, tel qu'on l'entend en France depuis que les
vaudevillistes et les dramaturges de la premiere moitie du siecle ont
mis a la mode les pieces d'intrigue. En somme, ils posaient en principe
l'invraisemblance, quitte a employer toute leur ingeniosite pour faire
accepter ensuite, comme une image de la vie, ce qui n'en etait qu'une
caricature. Ils se genaient dans le drame et dans la comedie, tandis
qu'ils ne se genaient plus dans la feerie: la etait la seule difference.
Je voudrais preciser cette idee. L'allure scenique d'une feerie est
puerile, d'une naivete cherchee, allant carrement au merveilleux; et
c'est par la que la piece enchante les petits et les grands enfants.
Plus l'invraisemblance est
|