grande, plus le ravissement est certain. On
s'y arrete comme devant ces theatres de marionnettes, qui retiennent aux
Champs-Elysees les reveurs qui passent. Il semble que ces personnages
fantasques et cette action folle soient des symboles, derriere lesquels
on entend l'humanite s'agiter avec des rires et des larmes. Les joujoux,
je parle des joujoux a bon marche, les chevaux, les moutons, les
poupees, toutes ces betes en carton, grossierement peinturlurees et si
extraordinaires de formes, ont aussi cette invraisemblance lamentable ou
grotesque qui ouvre l'au dela de la vie. En les regardant, on echappe a
la terre, on entre dans le monde de l'impossible. J'adore ces joujoux
comme j'adore les feeries.
La comedie et le drame, au contraire, sont tenus a etre vraisemblables.
Une necessite les attache aux paves des rues. Ils mentent, mais il faut
qu'ils mentent avec des menagements infinis, sous peine de nous blesser.
Le triomphe de nos auteurs a ete de deguiser le plus possible leurs
mensonges, grace a toute une convention savamment reglee; de la, le code
du theatre. Ils nous ont peu a peu habitues au personnel comique ou
dramatique, qui n'est autre qu'un personnel de feerie, sans paillette,
sans truc, efface et rapetisse. Pour moi, entre un roi de feerie et un
prince des vaudevilles de Scribe, je ne fais qu'une difference: tous
les deux sont mensongers, seulement le premier me ravit, tandis que le
second m'irrite. Et il en est ainsi pour tous les personnages: ils ne
sont pas plus humains dans un genre que dans l'autre; ils s'agitent
egalement en pleine convention. Je ne parle pas de l'intrigue elle-meme;
je trouve, pour ma part, bien plus raisonnables les combinaisons
sceniques de _Rothomago_, par exemple, que celles d'une foule de pieces
dites serieuses, dont il est inutile de citer les titres.
J'en veux arriver a cette conclusion, que le charme de la feerie est
pour moi dans la franchise de la convention, tandis que je suis, par
contre, fache de l'hypocrisie de cette convention, dans la comedie et le
drame. Vous voulez nous sortir de notre existence de chaque jour,
vous avancez comme argument que le public va chercher au theatre des
mensonges consolants, vous soutenez la these de l'ideal dans l'art, eh
bien! donnez-nous des feeries. Cela est franc, au moins. Nous savons que
nous allons rever tout eveilles. Et, d'ailleurs, une feerie n'est pas
meme un mensonge, elle est un conte auquel personne ne peut se tromper.
Rien
|