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bon genie et contre eux un mauvais genie, et qu'on marie quand meme au
denoument, apres les voyages les plus extravagants dans tous les pays
imaginables. Ces voyages, en somme, sont la grande affaire, car ils
permettent au decorateur de nous promener au fond de forets enchantees,
dans les grottes nacrees de la mer, a travers les royaumes inconnus et
merveilleux des oiseaux, des poissons ou des reptiles. Quand les
acteurs disent quelque chose, c'est uniquement pour donner le temps aux
machinistes de poser un vaste decor, derriere la toile de fond.
J'avoue, pourtant, n'avoir pas la force de me facher. S'il est bien
entendu que toute pretention de litterature dramatique est absente, il
y a la un veritable emerveillement. Les acteurs ne sont plus que des
personnages muets et riches, perdus au milieu d'une prodigieuse vision.
Au fond de sa salle, on peut se croire endormi, revant d'or et de
lumiere; et meme les mots betes qu'on entend, malgre soi, par moments,
sont comme les trous d'ombre obliges qui gatent les plus heureux
sommeils. Les ballets sont charmants, car les danseuses n'ont rien a
dire. Il y a toujours bien deux ou trois actrices jolies, montrant le
plus possible de leur peau blanche. On a chaud, on digere, on regarde,
sans avoir la peine de penser, berce par une musique aimable. Et, apres
tout, quand on va se coucher, on a passe une agreable soiree.
Certes, au theatre, il faut laisser un vaste cadre a l'adorable ecole
buissonniere de l'imagination. La feerie est le cadre tout trouve de
cette debauche exquise. Je veux dire quelle serait la feerie que je
souhaite. Le plus grand de nos poetes lyriques en aurait ecrit les
vers; le plus illustre de nos musiciens en composerait la musique. Je
confierais les decors aux peintres qui font la gloire de notre ecole,
et j'appellerais les premiers d'entre nos sculpteurs pour indiquer des
groupes et veiller a la perfection de la plastique. Ce n'est pas tout,
il faudrait, pour jouer ce chef-d'oeuvre, des femmes belles, des hommes
forts, les acteurs celebres dans le drame et dans la comedie. Ainsi,
l'art humain tout entier, la poesie, la musique, la peinture, la
sculpture, le genie dramatique, et encore la beaute et la force, se
joindraient, s'emploieraient a une unique merveille, a un spectacle qui
prendrait la foule par tous les sens et lui donnerait le plaisir aigu
d'une jouissance decuplee.
Ah! qu'il serait temps de balayer les parades qui salissent les scenes
de nos
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