e une seule fois dans une
bonne et franche colere. Ce n'est pas tout, Maximin vient le braver au
nom de Rome, avec un etalage d'insolence lyrique, et il se contente de
lutter de lyrisme avec l'insulteur. De temps a autre, il est vrai, il se
dresse sur la pointe des pieds, en disant: "C'est trop de hardiesse!"
Mais il s'en lient la, les hardiesses continuent, les plus humbles lui
lavent la tete, on le traite a bouche que veux-tu de bourreau, de tyran,
d'assassin; une vraie cible aux tirades patriotiques de chacun, un
fantoche crible de vers, larde des mots de patrie et d'honneur. Ah! la
bonne ganache de barbare! A coup sur, le tigre ne s'est pas defendu
contre M. de Bornier, qui, avant de le faire manger par sa gazelle, l'a
accommode sans peril a la sauce des beaux sentiments.
Cet Attila est donc un brave homme. Ajoutons qu'il a des mouvements
d'humeur. Ainsi, s'il tolere autour de lui les gens qui l'injurient,
il fait crucifier ceux de ses soldats qui gardent le silence; voir
l'episode du premier acte. D'autre part, il donne l'ordre de couper le
cou de Walter, dans un moment de vivacite; mais, en verite, ce Walter a
bien merite son sort; on n'"embete" pas un tyran a ce point, le moindre
tigre en chambre n'aurait certainement pas attendu d'etre provoque deux
fois. La bonhomie imbecile de Geronte, jointe a la folie meurtriere de
Polichinelle, voila l'Attila de M. de Bornier. Des qu'il a besoin de
faire injurier son despote, le poete l'asseoit sur son trone et le tient
immobile et patient, tant que la tirade se developpe. Ensuite, il pousse
un ressort, et le pantin lache le fameux: "C'est trop de hardiesse!" Une
seule fois, le pantin tue un homme, non pas parce que cet homme lui dit
depuis huit heures du soir des choses excessivement desagreables, mais
parce qu'il abuse de sa situation de noble prisonnier et de belle ame
pour vouloir lui prendre sa femme. C'en est trop, le tigre est dans le
cas de legitime defense.
Je me laisse aller a la plaisanterie. Mais, en verite, comment prendre
au serieux une pareille psychologie. Voila le grand mot lache: Toute
cette tragedie, deguisee en drame romantique, est d'une psychologie
enfantine. Essayez un instant de reconstituer les mouvements d'ame des
personnages, de savoir a quelle logique ils obeissent, et vous arriverez
a une analyse stupefiante. Nous sommes ici dans une abstraction
quintessenciee. Ce n'est plus la machine intellectuelle si bien reglee
du dix-septieme siecle. C'e
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