ur Louvard, c'est le traitre qu'on a vu tant de fois.
Les bonshommes n'ont pas change; ils restent jusqu'au cou dans la
convention. Ils commencent a parler leur vraie langue, voila tout.
Paris a besoin d'un certain nombre de plaisanteries courantes. Que les
chroniqueurs, les echotiers, tout le personnel rieur et turbulent de la
petite presse, ait lance une serie de calembredaines sur le mouvement
litteraire actuel, rien de plus acceptable; que l'on fasse par moquerie
tenir le naturalisme dans l'argot des barrieres, l'ordure du langage
et les images risquees, cela s'explique, et nous tous qui defendons
la verite, nous sommes les premiers a sourire de ces plaisanteries,
lorsqu'elles sont spirituelles. Mais, en France, on ne saurait croire
combien est dangereux ce jeu de la raillerie. Les esprits les plus
epais et les plus serieux finissent par accepter comme des jugements
definitifs les aimables bons mots de la presse legere.
Ainsi, on tend a admettre que l'argot entre comme une base fondamentale
dans notre jeune litterature. On vous clot la bouche, en disant: "Ah!
oui, ces messieurs qui remplacent la langue de Racine par celle de
Dumollard!" Et l'on est condamne. Vraiment! nous nous moquons bien
de l'argot! Quand on fait parler un ouvrier, il est d'une honnetete
stricte, je crois, de lui conserver son langage, de meme qu'on doit
mettre dans la bouche d'un bourgeois ou d'une duchesse des expressions
justes. Mais ce n'est la que le cote de forme du grand mouvement
litteraire contemporain. Le fond, certes, importe davantage.
Par exemple, au theatre, c'est un triomphe mediocre que de placer de
loin en loin une expression populaire. J'ai remarque que l'argot fait
toujours rire a la scene, lorsqu'on le menage habilement. Il est
beaucoup plus difficile de s'attaquer aux conventions, de faire
vivre sur les planches des personnages tailles en pleine realite, de
transporter dans ce monde de carton un coin de la veritable comedie
humaine. Cela est meme si mal commode que personne n'a encore ose, parmi
les nouveaux venus, qui ne sont pourtant pas timides.
Il faut remettre l'argot a sa place. Il peut etre une curiosite
philologique, une necessite qui s'impose a un romancier soucieux du
vrai. Mais il reste, en somme, une exception, dont il serait ridicule
d'abuser. Parce qu'il y a de l'argot dans une oeuvre, il ne s'ensuit pas
que cette oeuvre appartient au mouvement actuel. Au contraire, il
faut se mefier, car rien n'est un vo
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