Je commencerai par la critique. Qui ne comprend que ce denoument est
facheux? Pendant les deux premiers actes, M. Louis Davyl s'est tenu
dans une etude tres simple et tres juste d'un petit coin de la vie de
province. On ne sent nulle part la convention theatrale, les recettes
connues, la routine des expedients et des ficelles du metier. Rien de
plus charmant, de mieux observe et de mieux rendu. Et voila tout d'un
coup que l'auteur parait avoir peur de cette belle simplicite; il se dit
que ca ne peut pas finir comme ca, que ce serait trop nu, qu'il faut
absolument corser le troisieme acte. Alors, il ramasse cette vieille
histoire des cent mille francs qu'on croit perdus et qu'on retrouve dans
la poche d'un clerc fantaisiste. Il force le coffre-fort de son egoiste
par un tour de passe-passe, au lieu de chercher a amener le denoument
par une evolution du caractere du personnage.
Le pis est que M. Louis Davyl a fait la scene qu'il fallait faire, et
qu'il l'a meme tres bien faite. Quand M. Cheribois rentre chez lui a la
nuit tombante, il ne trouve plus personne, ni sa femme, ni sa niece, ni
la vieille bonne. Il n'y a pas meme de lampe allumee. Le nid ou il se
fait dorloter depuis un demi-siecle est desert et froid, lentement empli
d'une ombre inquietante. Alors, il est pris de peur, il tremble qu'on ne
l'abandonne, il grelotte a la pensee qu'il n'aura plus la trois femmes
pour prevenir ses moindres desirs. Et il se lance a travers les pieces,
il appelle, il crie. C'est lui, des lors, qui est a la merci de son
entourage. J'aurais voulu qu'a ce moment il fut vaincu par le seul fait
de son abandon, que son caractere d'egoiste lui arrachat ce cri:
"Tenez! voila les cent mille francs, rendez-moi ma tranquillite et mon
bien-etre."
Remarquez que M. Cheribois obeissait ainsi jusqu'au bout a sa nature.
Apres avoir resiste par egoisme, il consentait par egoisme. Son vice le
punissait, sans que l'auteur eut a le transformer. D'autre part, il
faut songer que M. Cheribois n'est pas un avare; il se nourrit
merveilleusement et tient a digerer dans de bons fauteuils. S'il refuse
de donner les cent mille francs, c'est qu'il songe sans doute a toutes
les satisfactions personnelles qu'il peut se procurer avec une pareille
somme. Rien d'etonnant des lors a ce qu'il les donne, des que son refus
menace de gater son existence entiere. Je le repete, le denoument
naturel etait la, et pas ailleurs.
Tout le reste, les cent mille francs promenes
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