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d'une table d'hote, a l'heure du dejeuner. Vous voyez l'effarement des
voyageurs. Ici, il y a un de ces coups de folie qui traversent les
pantomimes, ces coups de folie epidemiques dont on rit si fort, avec
de sourdes inquietudes pour sa propre raison. Les Hanlon prennent
les plats, les bouteilles, et se mettent a jongler avec une furie
croissante, si endiablee, que peu a peu les convives, entraines,
enrages, les imitent, de facon que la scene se termine dans une demence
generale. N'est-ce pas le souffle qui passe parfois sur les foules
et les detraque? L'humanite finit souvent par jongler ainsi avec les
soupieres et les saladiers. On est pris par le fou rire, on ne sait si
l'on ne se reveillera pas dans un cabanon de Bicetre. Ce sont la les
gaietes des Hanlon.
Et que dire de la scene du gendarme, qui vient ensuite? Un gendarme se
presente pour arreter les coupables. Des lors, c'est le gendarme qui
va etre bafoue. Il est l'autorite, on le bernera, on passera entre
ses jambes pour le faire tomber, on lui causera des peurs atroces en
s'elancant brusquement d'une malle, on l'enfermera dans cette malle,
on le rendra si piteux, si ridicule, si betement comique, que la foule
enthousiaste applaudira a chacune de ses mesaventures. C'est la scene
qui a meme produit le plus d'effet. Personne n'a songe qu'on insultait
notre armee. Pourtant, rien de plus revolutionnaire. Cela flatte le
criminel qu'il y a au fond des plus honnetes d'entre nous. Cela nous
gratte dans notre besoin de revanche contre l'autorite, dans notre
admiration pour l'adresse, pour le coquin adroit qui triomphe de
l'honnete homme trop lourd, que ses boites embarrassent.
Je signalerai, dans le genre fin, la scene de l'ivresse, que le public a
trouvee trop longue, parce que les delicatesses de cette analyse savante
lui ont echappe. Elle est pourtant tout a fait superieure, comme
observation et comme execution. Les grands comediens ne rendent pas
d'une facon plus detaillee, et nous pouvons prendre la une lecon
d'analyse, nous autres romanciers. Rien n'est plus juste ni plus complet
que ces tatonnements de deux ivrognes engourdis par le vin, qui, voulant
avoir de la lumiere, perdent successivement les allumettes, la bougie,
le chandelier, sans jamais retrouver qu'un des objets a la fois. C'est
toute une psychologie de l'ivresse.
En somme, je le repete, le succes a ete tres vif. On a beaucoup applaudi
les Hanlon. Je ne fais pas ici une etude complete de
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