e de gaiete et de douleur des generations entieres. Non, le
theatre n'est pas une belle chose, parce qu'on peut y duper chaque soir
quinze cents personnes, en leur faisant avaler des choses tres mediocres
dans un eclat de rire ou dans un flot de larmes. C'est au contraire
pour cette raison que le theatre est inferieur. Il n'est pas honorable
d'ebranler la raison des spectateurs par des situations violentes, au
point de les rendre imbeciles, et cela n'est permis qu'aux pieces sans
litterature. Ou M. Sarcey a-t-il vu que la situation faisait tout
oublier? dans le repertoire des boulevards, dans nos pieces romantiques
qui melent l'habilete de Scribe a la fantasmagorie de Victor Hugo. Mais
qu'il cite un chef-d'oeuvre qui soit un chef-d'oeuvre en dehors de
l'observation humaine et de la beaute litteraire du dialogue. Il faut
toujours voir le chef-d'oeuvre; rien ne me parait desastreux pour la
critique comme cet engourdissement dans le train-train quotidien de nos
theatres, qui ne met rien au dela du succes immediat d'une piece et qui
rapporte tout a la consommation courante du public. Sans doute, les
chefs-d'oeuvre sont rares; mais c'est pour le chef-d'oeuvre que nous
travaillons tous. Peu importent les fabricants, ils ne meritent pas
qu'on discute sur leur plus ou leur moins de mediocrite.
Je dirai donc a M. Delpit de ne pas trop se fier aux situations, a
l'emotion qu'il peut determiner en heurtant des marionnettes, placees
dans de certaines conditions. Ce metier ne reussit meme plus aux
vieux routiers du melodrame. S'il n'avait mis dans sa comedie que des
invraisemblances et des conventions, comme M. Sarcey parait le croire,
sa comedie tomberait aujourd'hui devant l'indifference publique. Ce
n'est pas grace aux situations que le _Fils de Coralie_ a reussi, car
nous avons vu d'autres situations aussi puissantes et plus neuves ne pas
toucher les spectateurs; c'est grace a la somme de verite que l'auteur
a ose apporter dans les situations, comme j'ai tache de le prouver. M.
Sarcey ne dit pas un mot de cela. Il ajoute meme que, lorsqu'une salle
pleure, il n'y a plus a discuter; alors qu'on nous ramene a _Lazare le
Patre_, dont on vient de faire quelque part une reprise si piteuse.
Le preuve que rien ne disparait, meme dans le succes, c'est que le
capitaine Daniel reste un personnage en bois pour tout le monde, c'est
que le quatrieme acte empechera toujours le _Fils de Coralie_ d'etre
une oeuvre de premier ordre. Le public, que
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