dans la poche de Bidard,
le bel expedient de Lucile, decidant Laurent a vendre sa vigne, n'est
reellement la que pour tenir de la place. Ce sont des complications
enfantines, imaginees en dehors de toute observation, ajoutees par
l'auteur dans le but d'occuper les planches. Je crois le calcul facheux.
L'effet obtenu aurait grandi, si le troisieme acte avait continue la
belle et touchante simplicite des deux premiers. M. Louis Davyl a eu le
tort de ne pas pousser magistralement son etude jusqu'au bout. Il s'est
dit qu'une "piece" etait necessaire, lorsque, selon moi, une "etude"
suffisait et donnait a l'idee une ampleur superbe. On a tort de se
defier du public, de croire qu'il exige de la convention. Ce sont les
deux premiers actes qui ont surtout charme la salle. Jamais M. Louis
Davyl n'aura laisse echapper une si belle occasion de laisser une
oeuvre.
Telle qu'elle est, pourtant, la piece est une des meilleures que j'aie
vues cette annee. J'ai ete tres heureux de son succes, car ce succes me
confirme dans les idees que je defends. Voila donc le naturalisme au
theatre, je veux dire l'analyse d'un milieu et d'un personnage, le
tableau d'un coin de la vie quotidienne. Et l'on a pris le plus grand
plaisir a cette fidelite des peintures, a cette scrupuleuse minutie
de chaque detail. Le premier acte est vraiment charmant de verite;
on dirait le debut d'un roman de Balzac, sans la grande allure. Que
m'affirmait-on, que le theatre ne supportait pas l'etude du milieu?
Allez voir jouer _Monsieur Cheribois_, et, ce qui vous seduira, ce sera
precisement cette maison de Joigny, si tiede et si douce, dans laquelle
vous croirez entrer.
Pour moi, M. Louis Davyl fera bien de s'en tenir la. Sa voie est
trouvee. Quand il s'est lance dans la litterature dramatique, apres une
vie deja remplie, il a deploye une activite fievreuse, il a voulu tenter
toutes les notes a la fois. J'ai vu de lui des pieces bien mediocres,
entre autres de grands melodrames ou il pataugeait a la suite de Dumas
pere et de M. Dennery. J'ai vu un drame populaire, dans lequel, a cote
d'excellentes scenes prises dans le milieu ouvrier, il y avait une
accumulation de vieux cliches intolerables. De tout son bagage, il ne
reste que la _Maitresse legitime_ et _Monsieur Cheribois_. La conclusion
est facile a tirer. J'espere que l'experience est desormais faite pour
lui; il doit s'en tenir aux pieces d'observation et d'analyse, il doit
ne pas sortir du theatre naturalis
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