monde, qu'il n'y a pas d'issue
possible, et il se decide a denouer le drame en se faisant sauter la
cervelle.
Certes, je ne defends point les inexperiences ni les maladresses de la
piece. Seulement, je me demande quelle a ete la veritable intention de
madame de Mirabeau. A coup sur, son idee premiere a du etre de mettre
debout la haute figure de Chateaufort. On dit que son heros etait,
dans le principe, depute et ambassadeur; la censure aurait diminue
le personnage, en en faisant un simple diplomate, envoye en mission
particuliere.
Mais l'indication suffit. On comprend immediatement quel est le
personnage, le type que l'auteur a voulu creer. Chateaufort n'est point
l'aventurier vulgaire. Son nom est a lui; de plus, il a une grande
intelligence, une haute situation. Sa perversion est un fruit de
l'epoque et du milieu. Il est la pourriture en gants blancs, l'intrigue
toute puissante, l'homme public qui abuse de son mandat, le cerveau
vaste qui combine le mal. Cet homme, titre, occupant une des situations
politiques les plus en vue, represente donc la corruption dans
les hautes classes, avec ce qu'elle a d'intelligent, d'elegant et
d'abominable. Je ne sais si je me fais bien comprendre. Mais il y avait,
a mon sens, une creation tres large a tenter avec un tel personnage. Il
est de notre temps; on l'a rencontre dans vingt proces scandaleux. Il
a pousse sur les decombres des monarchies; il ne peut plus avoir de
pensions sur la cassette des rois, et il bat monnaie avec ses titres et
ses situations officielles. Regardez autour de vous, tres haut, et vous
le reconnaitrez. Je comprends donc parfaitement que madame de Mirabeau
n'ait pu resister a la tentation de mettre au theatre une figure si
contemporaine et si puissamment originale.
Maintenant, le malheur est qu'elle l'a mise sans aucune prudence. Elle
avait besoin d'une histoire quelconque pour employer le heros, et
l'histoire qu'elle a choisie est des moins heureuses. Encore aurait-elle
pu s'en contenter, car les histoires en elles-memes importent peu. Mais
il fallait alors souffler la vie a tous ces pantins, donner aux faits la
profonde emotion de la verite. J'arrive ici au vif de la question, et je
demande a m'expliquer tres nettement.
Le soir de la premiere representation, le public riait et la critique se
fachait, ai-je dit. Dans les couloirs, j'entendais dire que l'immoralite
de la piece etait revoltante, qu'un pareil monde n'existait pas.
Surtout, c'etait le
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