langage qui blessait; des spectateurs juraient que
les femmes du monde ne parlent pas avec cette crudite et ne se lancent
point ainsi leurs amants a la tete. Que repondre a cela? on sourit on
hausse les epaules. La brutalite est partout, en haut comme en bas.
Quand les passions soufflent, les marquises deviennent des poissardes.
Il n'y a que les tout jeunes gens qui se font du grand monde une idee
d'Olympe, ou les bouches des dames ne lachent que des perles.
Pour mon compte,--j'ignore si j'ai l'ame plus scelerate que la moyenne
du public,--je ne trouve, dans _Chateaufort_, pas plus de gredinerie que
dans beaucoup d'autres pieces applaudies pendant cent representations.
Que voyons-nous donc d'epouvantable dans cette oeuvre? Un homme qui a
eu des relations avec sa belle-mere, et qui convoite les biens de son
beau-pere. Mais ce sont la de simples gentillesses, a cote de l'amas
effroyable des noirs forfaits de notre repertoire. Je ne citerai pas les
tragedies grecques, ni les melodrames du boulevard, ou l'on s'empoisonne
en famille avec le plus belle tranquillite du monde. Je rappellerai
simplement les oeuvres de cette annee, l'_Etrangere_, par exemple, ou le
duc de Septmont se conduit en vilain monsieur, tout comme Chateaufort.
Pourquoi, en ce cas, rit-on et se fache-t-on au Gymnase? C'est
uniquement parce que l'auteur a manque de science et d'adresse. Il
aurait pu nous conter une aventure dix fois plus odieuse et nous
l'imposer parfaitement, s'il avait su proceder avec art. Question de
facture, rien de plus, je le repete. Le public a acclame d'autres
vilenies, sans s'en douter. Les infamies ne l'effrayent pas, la facon de
presenter les infamies seule le revolte.
La grande faute de madame de Mirabeau a ete de batir son action dans
le vide. Ses personnages n'ont pas d'acte civil. On ne sait d'ou ils
viennent, qui ils sont, comment s'est passee leur vie jusqu'au jour ou
on nous les presente. Chateaufort aurait eu besoin d'etre explique dans
ses antecedents. Cette grande figure devait etre complete. Un drame
n'est pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu; il faut circonstancier
et amener les orages de la passion et des interets.
Une autre faute grave est d'avoir raidi les personnages dans une
attitude. Chateaufort, a mon sens, manque surtout de souplesse. Le
marquis est une ganache et la marquise une louve de melodrame. Quant a
Nadine, elle serait le seul personnage sympathique, si elle n'etait pas
toujours en colere.
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