La vie a plus de bonhomie, et, meme dans les crises
dramatiques, il faut conserver aux personnages des echappees de repos et
de detente. Une action toute nue, une abstraction pure, ne reussit au
theatre qu'a la condition d'etre maniee par des mains tres savantes, qui
la conduisent avec une raideur de demonstration geometrique.
D'ailleurs, madame de Mirabeau est loin de manquer de talent. J'ose
meme confesser que son oeuvre m'a beaucoup plus interesse que certaines
pieces, jouees dans ces derniers temps, et qui ont reussi. Cela est si
peu ordinaire, une belle inexperience, parlant carrement, appelant les
choses par leurs noms, allant droit devant elle sans crier gare. Il y a
bien des hommes, parmi nos auteurs dramatiques, auxquels je souhaiterais
l'energie de madame de Mirabeau. Et il ne faut pas ricaner, employer le
gros mot de brutalite, l'energie reste une chose rare et belle, qu'on
n'acquiert pas, et qui fait les grandes oeuvres. On ne devient pas fort,
tandis que l'on peut emonder sa force et trouver un equilibre.
Dans tout cela, il y a une morale a tirer. La chute _Chateaufort_ va
etre un argument de plus entre les mains de ceux qui refusent la verite
au theatre, sous pretexte que la verite est affligeante et que le
public demande avant tout des tableaux consolants. Je les entends d'ici
foudroyer les heros corrompus, declarer que le theatre n'est pas une
dalle de dissection, reclamer des idylles qui ne contrarient pas leur
digestion. Avez-vous remarque une chose? il est rare qu'un honnete homme
se scandalise en face d'un coquin; ce sont les coquins eux-memes qui
crient le plus fort, comme s'ils voyaient une allusion personnelle dans
le personnage qu'on leur montre.
Donc, c'est le naturalisme au theatre qui payera une fois de plus les
pots casses. Il va etre formellement conclu que toutes les plaies ne
sont pas bonnes a montrer, surtout lorsqu'il s'agit des plaies du beau
monde. Et l'on aura raison, dans un certain sens. Je crois qu'on peut
tout dire et tout peindre, mais je commence a etre persuade aussi
qu'il y a facon de tout peindre et de tout dire. La est la solution du
probleme.
Ah! comme nous serions forts, si un naturaliste, sans rien perdre de sa
methode d'analyse ni de sa vigueur de peinture, naissait avec le sens du
theatre, cette adresse du metier qui escamote les difficultes au nez du
public. Il n'est pas vrai, a coup sur, que tout le theatre soit dans le
metier, comme on le repete. Le metier su
|