utre part, je n'osais t'envoyer une depeche, craignant
qu'elle fut interceptee par ton ami Byasson, qui, tu dois le comprendre
maintenant, ne t'avait accompagne que pour te surveiller et t'expedier
comme un colis, sans crainte de retour. Ah! toutes les precautions
etaient bien prises. Alors je resolus de te rejoindre ici. J'eus le
temps de rentrer chez moi, de faire mes malles a la hate, avec l'aide de
Louise, et de prendre le train du Havre, qui part a minuit dix minutes.
Arrivee au Havre, j'allai au telegraphe pour t'envoyer ma depeche, puis
je m'embarquai sur le _Labrador_; et me voici. Dans quelle situation
morale je fis la traversee, tu peux l'imaginer: je voyais tout le monde
conjure pour te separer de moi et je me demandais si tu n'etais pas
d'accord avec tes parents.
--Moi!
--Cela etait absurde et encore plus injuste, j'en conviens, mais toi
aussi tu conviendras qu'il etait bien difficile d'admettre que ta mere
qui, tu l'as toujours dit, t'aime et ne veut que ton bonheur, il etait
bien difficile d'admettre que ta mere avait pu toute seule machiner un
pareil plan. J'ai quitte Paris decidee, je te l'avoue, a pousser les
choses a l'extreme, pour trancher notre situation dans un sens ou dans
un autre: ou nous nous separerons franchement, ou je deviens ta femme;
tu as vingt-cinq ans accomplis, tu peux te marier malgre ton pere et ta
mere, a la condition de leur faire des sommations; si tu m'aimes comme
je t'aime, si tu comprends que je suis tout pour toi, qu'il n'y a que
pres de moi que tu peux trouver de l'affection et de la tendresse, si tu
vois enfin ce qu'est pour toi cette famille qui t'a donne un conseil
judiciaire, qui t'as deshonore en te livrant aux moqueries des usuriers,
qui s'est jouee de ton bonheur, de ton honneur, dans le seul interet de
son argent; si tu comprends tout cela, tu n'hesites pas a me donner ton
nom dont je suis digne par l'amour que je t'ai toujours temoigne; si tu
hesites, retenu par je ne sais quelles laches considerations mondaines,
je n'hesite pas, moi, a me separer d'un homme qui n'est pas digne d'etre
aime.
Elle avait prononce ce discours, evidemment prepare a l'avance, en
detachant chaque mot, et les yeux dans les yeux de Leon; c'etait en
arrivant seulement a son projet de mariage qu'elle avait presse son
debit, de maniere a n'etre pas interrompue. Ayant dit ce qu'elle avait a
dire, elle attendit, suivant sur le visage de son amant les divers
mouvements qui l'agitaient, et li
|