une situation horrible; follement, par
chagrin, je me suis jete dans une liaison honteuse, et plus follement
encore je me suis laisse entraine a un mariage, qui, pour etre nul
legalement, n'en fera pas moins le desespoir de ma vie. Cette liaison,
je veux la rompre, comme je ne veux jamais revoir celle qui m'a pousse a
cette folie. Pour cela, j'ai pris le parti de quitter la France et de me
cacher en Amerique. Seulement, il faut que tu saches que je suis sans
ressources et que, pourvu d'un conseil judiciaire, je ne puis pas
emprunter. Or, m'en aller en Amerique sans rien, c'est m'exposer a
mourir de faim. Veux-tu m'aider a aller en Amerique, et a y gagner ma
vie en me pretant l'argent necessaire a cela? Cela est etrange, n'est-ce
pas, que moi, heritier de la maison Haupois-Daguillon, j'emprunte
quelques milliers de francs a une pauvre fille comme toi; enfin, c'est
ainsi; ta pauvrete te permet elle de me preter; de me donner ce que je
demande a ton amitie, a notre parente?
--Je le pourrais, mais je ne le veux pas, car je ne peux pas t'aider a
partir.
--Il faut que je parte, cependant.
--Pourquoi partir si tu sens, si tu es sur que cette rupture est
irrevocable?
--Parce que ...--il hesita assez longtemps,--parce que, quand je me suis
jete dans cette liaison, ca ete pour oublier une personne que ...
j'avais aimee; et que je croyais ne jamais revoir. Depuis que j'ai revu
cette personne, j'ai reconnu que je l'aimais toujours, que je l'aimais
plus que je ne l'avais aimee. Mais cette personne ne peut m'aimer; et le
put-elle, je ne puis pas lui demander d'etre ma femme, car elle n'a pas
de fortune et mes parents ne consentiraient jamais a l'accueillir comme
leur fille: tu comprends, n'est-ce pas, que je ne me marierais pas une
seconde fois sans le consentement de mon pere et de ma mere; et tu
comprends aussi que dans ces conditions, je dois partir.
--Mais, si tu avais ce consentement, partirais-tu?
--Je ne pourrais pas l'avoir.
--Si je te disais que je l'aurai moi, que je l'ai ... partirais-tu?
--Madeleine!...
--Si je te disais que ton pere et ta mere m'ont demande d'etre ta
femme.... Partirais-tu? Si je te disais que tu te trompes en croyant que
celle que tu aimes ne pourra pas t'aimer ... partirais-tu?
IX
Ils allerent jusqu'au semaphore de Bernieres, et tous deux, a cote l'un
de l'autre, Madeleine lisant ce que Leon ecrivait, Leon lisant ce
qu'ecrivait Madeleine, ils redigerent leurs depeche
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