nde dormait dans le navire et que le silence n'etait trouble que par
le ronflement de la machine et le gemissement du vent dans la mature,
j'ai eu une vision. Je dis une vision et non un reve, car je ne dormais
pas. Ecoute-moi serieusement.
--Je t'ecoute.
--Sans douter de la realite de cette vision, malgre ton irreligion. J'ai
vu, j'ai entendu mon ange gardien. Avec tes idees, je sais que cela doit
te paraitre insense; cependant cela est ainsi. Il me parle, et voici ses
paroles: "Tu serais coupable de pousser ton ami a peiner ses parents.
Mais tu serais coupable aussi de perseverer plus longtemps dans la vie
qui est la votre." Puis la vision disparut, et je restai livree a mes
pensees, m'efforcant de m'expliquer ces paroles qui m'avaient
bouleversee. Le premier avertissement me parut assez facile a
comprendre, il voulait dire que je ne devais pas exiger de toi les
sommations respectueuses a tes parents, qui seraient une si cruelle
blessure pour leur vanite et leur orgueil; donc je devais renoncer a
mon projet de mariage tel que je l'avais arrange dans ma tete pendant
ces si longues journees. Je ne suis pas femme a desobeir a la volonte de
Dieu; je renoncai donc a ce mariage.
Elle baissa les yeux comme si elle etait profondement emue, mais elle
avait ete douee par la nature d'une qualite que l'usage avait
singulierement perfectionnee, celle de voir sans paraitre regarder; elle
remarqua que le visage de Leon, jusqu'alors douloureusement contracte,
se detendit.
Apres un moment donne a l'emotion, elle poursuivit:
--Le second avertissement etait moins clair: comment ne pas perseverer
dans la vie qui etait la notre? La premiere idee qu'il s'offrit a mon
esprit fut celle de la rupture: je devais me separer de toi. S'il
m'avait ete cruel de renoncer a ce projet de mariage qui assurait mon
bonheur pour l'eternite, combien plus cruelle encore me fut la pensee de
la separation! J'avais pu, apres bien des combats, abandonner
l'esperance d'etre ta femme; mais je ne pouvais pas t'abandonner
toi-meme, renoncer a notre amour, a mon bonheur, a la vie. Je me dis
qu'il etait impossible que telle fut la volonte de Dieu, et je cherchai
un autre sens a ces paroles. C'est hier seulement que j'ai trouve, et de
ce moment j'ai abandonne ma cabine, guerie, pour monter sur le pont
comme si j'etais insensible au mal de mer; voila pourquoi je ne suis pas
trop defaite; ah! si tu avais pu me voir il y a deux ou trois jours, je
n'etais qu'un
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