n sur le _Pacific_. Le vapeur prend la mer, beau temps."
Deux heures apres, on remit a madame Haupois-Daguillon une lettre qu'un
expres venait d'apporter:
"La personne que nous avions mission de surveiller n'etait point malade
comme elle le pretendait; elle n'est point chez elle, et nous avons tout
lieu de croire qu'elle est sortie hier soir un peu avant minuit; faut-il
rechercher ou elle a pu aller?"
Avant de repondre, madame Haupois-Daguillon etudia l'indicateur des
chemins de fer pour voir combien de temps au juste il fallait pour aller
de Paris a Liverpool; cet examen la rassura; si Cara etait partie le
vendredi soir, un peu avant minuit, elle n'avait pas pu arriver a
Liverpool avant le depart du _Pacific_.
Alors elle repondit un seul mot a cette lettre: "Cherchez."
Ce fut le lundi seulement qu'elle apprit le resultat de cette recherche:
le samedi matin, la personne qu'on avait mission de surveiller s'etait
embarquee au Havre sur le _Labrador_, en route pour New-York.
XXV
Les deux vapeurs le _Pacific_ et le _Labrador_ courent a toute vitesse
sur l'Ocean; l'un est sorti du canal de Saint-Georges, l'autre de la
Manche; les memes eaux les portent, et, dans l'air frais et pur
qu'aucunes souillures terrestres ne ternissent, leurs fumees noires
tracent la ligne qu'ils suivent.
Sur le pont du _Labrador_ une femme a la toilette elegante, une
Parisienne, Cara, une jumelle de courses a la main, sonde les
profondeurs vaporeuses de l'horizon, et quand passe un officier elle lui
demande, mais sans preciser la question; si tous les vapeurs partis
d'Europe le samedi pour l'Amerique suivent la meme route.
Sur le pont du _Pacific_, Leon regarde aussi la mer, mais il ne cherche
rien a l'horizon; que lui importe que tel navire soit ou ne soit pas en
vue; s'il promene les yeux ca et la, c'est en revant melancoliquement.
Depuis longtemps il n'avait pas eu une heure de solitude et de liberte;
il avait ete si bien pris, si etroitement enveloppe par Cara, qu'il
avait peu a peu cesse de s'appartenir, pour lui appartenir a elle,
n'ayant pas une pensee, une sensation, un sentiment qui lui fussent
propres ou personnels, tous lui etaient suggeres par elle, ou tout au
moins etaient partages avec elle. On ne se degage pas facilement d'une
pareille absorption, on ne s'affranchit pas comme on veut d'une pareille
servitude, car ce n'est pas seulement le corps qui se faconne par
l'habitude, l'esprit et le coeur se modifie
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