raintes pour elle-meme. D'avance elle bien
certaine de ne pas se laisser toucher, si pathetique, si entrainante que
fut l'eloquence de Byasson; c'est au theatre qu'on voit les Marguerite
Gauthier se laisser prendre aux arguments d'un pere noble et se
contenter d'un baiser, "le seul vraiment chaste qu'elles aient recu",
pour le paiement de leur sacrifice; dans la realite les choses se
passent d'une facon moins scenique peut-etre, mais a coup sur plus
sensee. D'ailleurs, elle avait interet a voir Byasson et a apprendre de
lui combien M. et madame Haupois etaient disposes a payer la liberte de
leur fils.
Elle donna donc a Byasson le rendez-vous que celui-ci lui demandait, et,
pour etre sure de n'etre point derangee, elle envoya Leon a la campagne.
Byasson arriva a l'heure fixee, et, pour la premiere fois, cette porte,
a laquelle il avait si souvent sonne, s'ouvrit toute grande devant lui.
Cara etait dans sa chambre, et, comme une bonne petite femme de menage,
elle s'occupait a recoudre des boutons aux chemises de Leon, dont une
pile, revenant de chez le blanchisseur, etait placee devant elle sur une
table a ouvrage; ce fut donc l'aiguille a la main, travaillant, que
Byasson la surprit.
Elle se leva vivement, avec une sorte de confusion, pour lui offrir un
siege.
Byasson avait prepare ce qu'il aurait a dire, il entama donc l'entretien
rapidement et franchement:
--Vous savez, dit-il, que je suis un commercant, nous parlerons donc, si
vous le voulez bien, le langage des affaires, et j'espere que nous nous
entendrons, si, comme j'ai tout lieu de le supposer, vous etes une femme
pratique.
Cara se mit a sourire.
--Je viens vous faire une proposition: combien vaut pour vous mon ami
Leon?
--La question est originale.
--Il y a acheteur.
--Mais vous ne savez pas s'il y a vendeur, il me semble?
--C'est a vous de le dire: vous avez; moi je demande.
--A livrer quand?
--Tout de suite.
--Et vous payez tout de suite aussi?
--Nous ne sommes pas precisement presses, mais je vous ferai remarquer
qu'entre vos mains la valeur que vous avez se deprecie.
--Ce n'est pas mon opinion; elle gagne, au contraire, puisque chaque
jour qui s'ecoule, etant un jour de vie, rend plus prochaine la
realisation de mes esperances.
--Enfin c'est a vous de faire votre prix, et non a moi.
--J'avoue que vous me prenez au depourvu, car il me faudrait une table
de probabilites pour la mortalite, comme en ont les compagnies
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