-En voila un, crierent deux ou trois gendarmes en poussant contre le
mur de la cour le jeune homme blesse, son fusil a creve dans sa main, il
saigne.
Le pauvre garcon tomba sur les genoux et tendit vers les gendarmes un
bras suppliant; mais ceux-ci reculerent de quatre ou cinq pas, trois
fusils s'abaisserent, et le malheureux, fusille presque a bout portant,
tomba la face sur le pave.
Cette scene horrible s'etait passee en moins de quelques secondes,
sans que personne de nous, tenu en respect par une baionnette, eut pu
intervenir.
A ce moment un officier entra sous la porte, j'ecartai les baionnettes
qui me menacaient et courus a lui.
--Lieutenant, il se passe ici des choses monstrueuses, vos hommes sont
fous; arretez-les.
Et je lui montrai le cadavre etendu sur le pave de la cour.
--Il avait tire, dit le lieutenant.
--Mais non, il n'avait pas tire, pas plus que moi, pas plus que nous
tous. Je suis officier comme vous, je vous donne ma parole de soldat que
personne n'a tire ici.
--Et qui me prouve cela?
Le rouge me monta aux joues.
--Ma parole.
--Qui me prouve que vous etes soldat?
Heureusement, je pensai au laisser-passer de la prefecture. Je le lui
montrai. Il me fit alors ses excuses et ecouta mes explications.
--C'est possible pour cette maison; mais il n'en est pas moins vrai
qu'on a tire sur les lanciers; c'est un guet-apens.
--J'etais sur le boulevard quand les lanciers ont paru, je vous affirme
qu'on n'a pas tire.
--Des hommes sont tombes de cheval.
--Cela est possible, mais ils ne sont point tombes frappes par une
balle; il est probable que dans un brusque mouvement pour suivre leur
colonel, ils auront ete desarconnes; vous avez du voir comme moi que
plusieurs etaient ivres.
--Sergent, dit le lieutenant sans me repondre, appelez vos hommes.
Puis, s'adressant au concierge:
--Vous allez fermer votre porte, dit-il, et vous ne l'ouvrirez pour
personne; ceux qui seront trouves dans la rue seront fusilles.
Pendant plus de deux heures nous restames ainsi enfermes, entendant le
canon dans le lointain, auquel se mela bientot le bruit d'une fusillade,
analogue a celle qui avait suivi la charge des lanciers: les feux de
peloton se succedaient sans relache et enflammerent tout le boulevard;
c'etait a croire que Paris etait en feu depuis la Madeleine jusqu'a la
Bastille. En realite il l'etait depuis la Chaussee-d'Antin jusqu'a la
porte Saint-Denis, car c'etait a ce moment qu'ec
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