soldat en vedette me coucha en joue; je lui fis un signe de la main et
m'arretai; mais il ne se contenta pas de cette marque de deference et
m'envoya son coup de fusil; la balle me siffla a l'oreille.
Alors son camarade, qui gardait l'autre coin du boulevard, m'ajusta
aussi, et je n'eus que le temps de me jeter dans l'embrasure d'une
grande porte; la balle vint s'enfoncer dans l'angle oppose a celui ou je
m'etais blotti.
Je frappai fortement a la porte en appelant et en sonnant. Mais on ne
m'ouvrit pas et on ne me repondit pas, bien que j'entendisse des bruits
de voix dans le vestibule.
Ma situation etait delicate. Si je n'avais eu affaire qu'a un seul
soldat, j'aurais pu me sauver aussitot son coup decharge; mais ils
etaient deux, et quand le fusil de l'un etait vide, le fusil de l'autre
etait plein.
Ce raisonnement me fut bientot confirme par leur facon de tirer; me
sachant refugie dans mon encoignure ils trouverent amusant de m'envoyer
leurs balles comme si j'avais ete un mannequin, et au lieu de tirer
ensemble, ils tirerent l'un apres l'autre avec regularite.
Tantot les balles s'enfoncaient dans la porte, tantot elles frappaient
contre une colonne en pierre qui me protegeait, et, ricochant, elles
allaient tomber en face.
Tant qu'ils se contenteraient de ce jeu, j'avais chance d'echapper et
j'en serais quitte probablement pour l'emotion, mais s'ils avancaient
d'une dizaine de pas, j'avais chance de n'etre plus masque par une
colonne, et alors j'etais mort.
Je passai la cinq ou six minutes fort longues; enfin, j'entendis un
bruit de pas cadences dans la rue: c'etaient quatre hommes et un caporal
qui venaient me faire prisonnier.
J'avoue que je respirai avec soulagement, et quand le caporal me mit
brutalement la main au collet, je trouvai sa main moins lourde que la
balle que j'attendais.
Je m'etais tenu si droit et si raide dans mon embrasure que je fus
presque heureux de pouvoir remuer bras et jambes.
XXXI
--Ou me conduisez-vous? dis-je au caporal qui me tenait toujours par le
collet de mon paletot.
--Ca ne te regarde pas, marche droit et plus vite que ca.
--Il fait bien le fier, celui-la, dit un grenadier en me menacant de la
crosse de son fusil.
En passant aupres des deux sentinelles qui m'avaient canarde pendant
cinq minutes, j'ai remarque qu'elles marchaient en zigzag; sans leur
ivresse, elles ne m'auraient certainement pas manque.
--Qu'est-ce que cet homme-la? demande un se
|