latait l'inexplicable
fusillade du boulevard Poissonniere qui a fait tant de victimes.
Enfin le silence s'etablit, et nous pumes nous faire ouvrir la porte.
Les troupes defilaient sur le boulevard, qui presentait un aspect
horrible: les fenetres etaient brisees, les arbres etaient haches, les
maisons etaient rayees et dechiquetees par les balles; la poussiere de
la pierre et du platre poudrait les trottoirs, sur lesquels ca et la des
morts etaient etendus.
Tortoni avait ete envahi par des soldats qui buvaient du champagne en
s'enfoncant dans le gosier le goulot des bouteilles: une ville prise
d'assaut et mise a sac.
En descendant par les rues laterales jusqu'a la Madeleine, je pus gagner
les quais: deux ou trois fois je voulus traverser le boulevard; mais
je fus empeche par des sentinelles qui me mettaient en joue, ou par
d'honnetes bourgeois qui me prevenaient qu'on tirait sur tous ceux qui
voulaient passer.
Enfin j'arrivai a la prefecture de police: on n'avait pas de nouvelles
de M. de Planfoy, et mon employe m'engagea charitablement a m'aller
coucher au plus vite, "les rues n'etant pas sures." Puis comme il vit
que je n'etais point dispose a suivre ce conseil et que je voulais
continuer mes recherches, il me dit que je ferais bien de visiter les
postes des casernes du quartier Saint-Antoine et du Temple.
--Il aura ete garde probablement par les soldats, me dit-il, a la
Douane, a la Courtille, a Reuilly; puisque le coeur vous en dit, voyez
par la; seulement je vous previens que vous avez tort; l'insurrection
n'est pas finie et les balles pleuvent un peu partout: vous feriez mieux
de vous mettre au lit.
La bataille, en effet, n'etait pas encore terminee, et l'on entendait
toujours le canon dans le quartier Saint-Martin.
Pour gagner la caserne de la Douane, par laquelle je voulais commencer
mes dernieres recherches, j'inclinai du cote de l'Hotel de ville en
prenant par les rues etroites et ecartees. Partout les boutiques etaient
fermees, et bien qu'il n'y eut pas trace de lutte, les rares personnes
que j'apercevais paraissaient frappees de stupeur.
Dans une rue, je croisai une forte patrouille de chasseurs de Vincennes;
le sergent qui marchait en tete criait d'une voix forte: "Ouvrez les
persiennes et fermez les fenetres!" et quand cet ordre n'etait pas
immediatement execute, on envoyait quelques balles dans les persiennes
closes.
En arrivant dans une rue qui debouche sur le boulevard du Temple, un
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