vont filer avec la caisse.
Et comme je me recriais contre ce scepticisme:
--Va voir la barricade du boulevard Poissonniere, dit-il, c'est eux qui
l'ont faite avec le magasin d'accessoires du Gymnase, elle est en carton
et elle n'est a autres fins que d'intimider le bourgeois; de meme que
ces civieres qu'on promene partout avec des infirmiers et des soldats
qui portent a la main un ecriteau sur lequel on lit: "Service des
hopitaux militaires," crois-tu que c'est serieux? De la blague et de la
mise en scene.
Les troupes ayant defile, nous suivimes le boulevard en discourant
ainsi. Deja, les curieux etaient revenus sur les trottoirs et a l'entree
de la rue Taitbout nous trouvames des groupes assez nombreux dans
lesquels il y avait des femmes et des enfants.
Au moment ou j'allais quitter mon ancien camarade, nous vimes arriver un
regiment de cavalerie, le 1er de lanciers, commande par le colonel de
Rochefort, que je reconnus en tete de ses hommes et alors, au lieu de
traverser la chaussee du boulevard, je restai dans la rue.
La tete de la colonne nous depassait de quelques metres a peine, lorsque
des groupes qui occupaient le trottoir partirent quelques cris de: Vive
la Constitution! et a bas le dictateur!
Brusquement le colonel retourna son cheval, et lui faisant franchir les
chaises, il tomba au milieu des groupes; ses officiers se precipiterent
apres lui, suivis de quelques lanciers, et en moins de quelques secondes
ce fut un horrible pietinement de chevaux au milieu de cette foule;
on frappait du sabre et de la lance; les malheureux que les pieds des
chevaux epargnaient etaient perces a coups de lance.
Le hasard permit que nous fussions au milieu meme de la rue; nous pumes
nous jeter en arriere et nous sauver devant cette attaque furieuse: dix
pas de moins ou dix pas de plus, nous etions ecrases contre les maisons
du boulevard, comme l'avaient ete ces malheureux.
Une porte etait entr'ouverte, nous nous jetames dedans, et elle se
referma aussitot. Quelques personnes etaient entrees avant nous, elles
me parurent folles de terreur; elles allaient et venaient en tournoyant
et se jetaient contre les murs. Au dehors on entendait le galop des
chevaux et les coups de lances dans les portes et les fenetres.
Puis tout a coup une terrible fusillade eclata. Contre qui pouvait-elle
etre dirigee: il n'y avait plus personne sur le boulevard? Un cliquetis
de verres casses tombant dans la rue fut la reponse a cette qu
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