e peux pas me resigner a passer une nuit pareille
a ma journee; je ne peux pas rester dans cette maison a attendre; vous
ne savez pas ce qu'a ete cette horrible attente qui va recommencer.
Enfin, je parvins a lui faire abandonner son idee. Il etait deja tard;
Ivry etait loin de Paris; nous ne pouvions y aller qu'a pied; elle me
retarderait, et dans la compagne elle pourrait m'etre un embarras et
un danger. Je partis donc seul par Bercy et la Gare: les rues de ces
quartiers etaient mornes et desertes; on eut pu se croire dans une ville
ensevelie; mes pas seuls troublaient le silence.
A la barriere on m'arreta, et je fus oblige de donner des explications
aux hommes de police qui occupaient le poste: on ne sortait plus de
Paris librement.
Je savais a peu pres ou se trouvait le fort d'Ivry, mais, dans la nuit,
j'etais assez embarrasse pour ne pas faire des pas inutiles; comme
j'hesitais a la croisee de deux routes, j'entendis une rumeur devant
moi. Je me hatai, et bientot je rejoignis un convoi en marche.
C'etaient precisement des prisonniers que des chasseurs de Vincennes
conduisaient au fort; ils etaient au nombre d'une quarantaine,
enveloppes de soldats; en queue marchaient des agents de police; les
chasseurs criaient et causaient comme des gens excites par la boisson,
les prisonniers etaient silencieux. Dans la nuit, ce defile au milieu
des campagnes avait quelque chose de sinistre; il semblait qu'on
marchait vers un champ d'execution.
J'abordai un agent de police, et apres m'etre fait reconnaitre, je lui
demandai d'ou venaient ces prisonniers.
--D'un peu partout; on fait de la place dans les prisons pour demain;
c'est une bonne precaution.
La nuit m'empechait de voir si M. de Planfoy etait dans ce convoi et je
ne pouvais m'approcher des prisonniers, je dus aller jusqu'au fort.
La, sur la presentation que je fis des ordres de la prefecture de
police, on me permit d'assister a l'entree des prisonniers dans la
casemate ou ils devaient etre enfermes.
A la lueur d'un falot, je les vis defiler un a un devant moi: toutes les
classes de la societe avaient des representants parmi ces malheureux: il
y avait des ouvriers avec leur costume de travail, et il y avait aussi
des bourgeois, des vieillards, des jeunes gens qui etaient presque des
enfants.
Plus d'un en passant devant moi me lanca un regard de colere et de
mepris dans lequel le mot "mouchard" flamboyait; mais le plus grand
nombre garda une attitude a
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