ant des
spectateurs qui n'ont point a se meler a l'action.
Ce qui rendait cette impression plus saisissante encore, c'etait
d'entendre les propos de ces spectateurs.
--Ca une barricade, disait une vieille femme que j'avais a ma droite, si
ca ne fait pas suer!
Et, de son aiguille a tricoter, elle montrait l'omnibus, en haussant les
epaules.
Vetue d'une camisole d'indienne, coiffee d'une marmotte, chaussee de
savates eculees, avec cela des cheveux gris ebouriffes, de la barbe au
menton, le nez barbouille de tabac, la voix cassee, c'etait le type de
la terrible tricoteuse d'autrefois.
--Une barricade, repliqua son interlocuteur, c'etait celle de juin.
Celui-la etait un ouvrier de quarante-cinq a quarante-huit ans, que la
sciure du bois d'acajou avait teint en rouge.
--Elle arrivait au troisieme etage des maisons et elle barrait l'entree
des trois rues du faubourg; c'etait de l'ouvrage propre; ca avait ete
fait avec amour; mais le peuple en etait.
--Ah! voila.
--Aujourd'hui c'est des bourgeois, et les bourgeois ca n'est bon a rien
par eux-memes, ca ne sait que faire travailler les autres.
--Oui, mais il faut que les autres veuillent travailler.
--Et au jour d'aujourd'hui, ils ne veulent pas.
--Le faubourg n'a pas oublie les journees de juin.
--Ca n'empeche pas que ca va etre drole quand la ligne va arriver.
--Faut voir ca.
--He allez donc.
--Ou qu'elle est la ligne?
--Sur la place.
--Elle va arriver?
--Pas encore; nous avons le temps de prendre un _mele_.
--C'est moi qui vous l'offre, madame Isidore.
Cependant, on avait travaille a consolider la barricade, mais sans
entrain; les gamins eux-memes faisaient defaut, et les quelques moellons
qui avaient ete apportes pour appuyer les voitures ne pouvaient pas etre
d'un grand secours.
Ce qu'il y avait de lamentable, c'etait de voir d'un cote les efforts
des representants pour entrainer le peuple a la resistance, et de
l'autre l'inertie de ce peuple. Ils allaient de groupe en groupe,
d'homme en homme, et de loin on les voyait parler et gesticuler.
A mesure qu'ils passaient devant nous, M. de Planfoy me les designait
et me nommait ceux qu'il connaissait: Bastide, l'ancien ministre des
affaires etrangeres; Charamaule, l'ancien depute; Schoelcher, Alphonse
Esquiros, Baudin, de Flotte, Bruckner, Versigny, Dulac, Malardier,
Bourzat, et d'autres dont je n'ai pas retenu les noms.
Je n'avais pas encore vu d'armes aux mains de ceux qu
|