uvais entendre ce qui se disait, on causait librement.
--Eh bien, comment ca va-t-il?
--Mieux qu'hier. Il y a eu un moment dur a passer. C'a ete le matin
quand la cavalerie n'est pas arrivee. Il parait que la cavalerie de
Versailles et de Saint-Germain a ete prevenue en retard, et au lieu
d'arriver au petit jour comme c'etait convenu, elle n'a commence a
paraitre qu'a midi. On a cru qu'elle ne voulait pas appuyer le prince,
et les heures ont ete longues. Il y en a plus d'un ici qui a pense a
prendre ses precautions.
--Dame! ca pouvait mal tourner si la cavalerie refusait son appui.
--Pour moi, vous pensez bien que je n'ai pas attendu pour mettre a
l'abri ce qui m'appartient; je n'ai ici que l'habit que je porte sur le
dos; le reste est chez ma famille.
--Quand on a vu des revolutions!
--Le fait est que celle-la n'est pas la premiere, mais elle me parait
maintenant bien marcher. Hier, il n'est venu personne en visite. On
attendait beaucoup de monde; personne n'est venu; on aurait dit qu'il
y avait un mort dans la maison; on parlait bas, on regardait autour de
soi. Mais aujourd'hui il est venu des personnages qui n'avaient jamais
paru ici.
--C'est bon signe.
--Et puis il parait qu'on commence a faire des barricades.
--Eh bien, alors?
--Si les bourgeois n'ont pas peur, ils crieront; et si la troupe n'a
rien a faire, elle ne sera pas contente. Il faut donc des barricades.
--Je comprends ca. Mais quand les barricades commencent, on ne peut pas
savoir ou et comment elles finiront.
--On n'en laissera faire que juste ce qu'il faudra.
Un nouvel arrivant interrompit ce colloque, et je retombai dans mes
reflexions.
Je passai la deux heures dans une angoisse mortelle. Enfin Poirier
arriva. Des qu'il me reconnut, il vint a moi, souriant et les mains
tendues.
--Vous voulez que je vous presente au prince? dit-il.
--Vous me mepriseriez si j'avais attendu l'heure du succes pour me
decider a pareille demarche.
--Je ne meprise que les imbeciles, et cette demarche serait d'un homme
intelligent et pratique; j'aime beaucoup les gens pratiques. Enfin,
puisque ce n'est pas de cela qu'il s'agit, que puis-je pour vous?
Je lui expliquai le service que j'attendais de sa toute-puissance.
--Si votre ami n'est pas deja fusille, ce que vous demandez est, je
crois, assez facile. Il faut s'adresser au prefet de police pour le
faire relacher.
--Ne pouvez-vous pas demander sa liberte au prefet de police?
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