tion qu'on venait d'entreprendre dans la Kabylie
n'avait ete qu'un jeu! On avait provoque les Kabyles qui vivaient
tranquilles chez eux, on avait fait naitre des motifs de querelles, et
apres avoir accuse ces malheureuses tribus de la province de Constantine
de revolte, on s'etait rue sur elles. Une forte colonne expeditionnaire
avait ete formee sous le commandement du general de Saint-Arnaud, qui
n'etait encore que general de brigade, et la guerre avait commence.
On avait fait tuer des Francais; on avait massacre des Kabyles, brule,
pille, saccage des pays pour que ce general de brigade put devenir
general de division d'abord, ministre de la guerre ensuite, et, enfin,
instrument docile d'une revolte militaire. Les journaux trompes avaient
celebre comme un triomphe, comme une gloire pour la France cette
expedition qui, pour toute l'armee, n'avait ete qu'une cavalcade; dans
l'esprit du public, les vieux generaux africains Bedeau, Lamoriciere,
Changarnier, Cavaignac avaient ete eclipses par ce nouveau venu. Et
celui qu'on avait ete prendre ainsi pour en faire le rival d'honnetes et
braves soldats, au moyen d'une expedition de theatre et d'articles de
journaux, etait un homme qui deux fois avait quitte l'armee dans des
conditions dont on ne parlait que tout bas: ceux qui le connaissaient
racontaient de lui des choses invraisemblables; il avait ete comedien,
disait-on, a Paris et a Londres, commis voyageur, maitre d'armes en
Angleterre; sa reputation etait celle d'un aventurier.
Roulant dans ma tete ce que Poirier venait de m'apprendre, je me laissai
presque rassurer par ce choix de Saint-Arnaud. Pour qu'on eut ete
chercher celui-la, il fallait qu'on eut ete bien certain d'avance du
refus de tous les autres. L'armee n'etait donc pas gagnee, comme on le
disait, et il n'etait pas a craindre qu'elle se laissat entrainer par
ce general qu'elle connaissait. Etait-il probable que d'honnetes gens
allaient se faire ses complices? La raison, l'honneur se refusaient a le
croire.
Alors lorsque, revenu pres de mon pere, je lui racontai ma visite a
Poirier, il ne jugea pas les choses comme moi.
--Tu parles de Saint-Arnaud general, me dit-il, mais maintenant c'est de
Saint-Arnaud ministre qu'il s'agit, et tu dois etre bien certain que les
opinions ont change sur son compte: le comedien, le maitre d'armes, le
geolier de la duchesse de Berry ont disparu, et l'on ne voit plus en lui
que le ministre de la guerre, c'est-a-dire le maitr
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