sur lequel il etait reste
etendu pendant sa maladie, et je me mis a lire la serie des lettres que
je lui avais ecrites depuis le jour ou j'avais su tenir une plume entre
mes doigts d'enfant. Ces lettres avaient ete classees par lui et serrees
soigneusement dans un bureau ou je les avais trouvees.
Pendant les premieres annees, elles etaient rares; car alors nous ne
nous etions pour ainsi dire pas quittes, et je n'avais eu que quelques
occasions de lui ecrire pendant de courtes absences qu'il faisait de
temps en temps. Mais a mesure que j'avais grandi, les separations
etaient devenues plus frequentes, puis enfin etait arrive le moment ou
la vie militaire m'avait enleve loin de Paris, et alors les lettres
s'etaient succede longues et suivies.
C'etait l'histoire complete de notre vie a tous deux, de la sienne
autant que de la mienne; elles parlaient de lui autant que de moi,
n'etant point seulement un recit, un journal de ce que je faisais ou de
ce qui m'arrivait, mais etant encore, etant surtout des reponses a ce
qu'il me disait, des remerciments pour sa sollicitude et ses temoignages
de tendresse.
Aussi, en les lisant dans le silence de la nuit, me semblait-il parfois
que je m'entretenais veritablement avec lui. La mort etait une illusion,
le corps que je voyais etendu sur sa couche funebre n'etait point un
cadavre et la realite etait que nous etions ensemble l'un pres de
l'autre, unis dans une meme pensee.
Alors les lettres tombaient de mes mains sur la table et, pendant de
longs instants, je restais perdu dans le passe, me le rappelant pas a
pas, le vivant par le souvenir. L'heure qui sonnait a une horloge, le
roulement d'une voiture sur le pave de la rue, le craquement d'un meuble
ou d'une boiserie, un bruit mysterieux, me ramenaient brusquement dans
la douloureuse realite. Helas! la mort n'etait pas une illusion, c'etait
le reve qui en etait une.
Vers le matin, je ne sais trop quelle heure il pouvait etre, mais
c'etait le matin, car le froid se faisait sentir; Felix entra doucement
dans la chambre. Lui aussi avait voulu veiller et il etait reste dans la
piece voisine.
--Je ne voudrais pas vous troubler, me dit-il, mais il se passe quelque
chose d'extraordinaire dans la rue.
--Que m'importe la rue?
--Vous n'avez pas entendu des bruits de pas sur la trottoir?
--Je n'ai rien entendu, laisse-moi, je te prie.
--Moi, j'ai entendu ces bruits et j'ai regarde par la fenetre de la
salle a manger; j'ai vu
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