nne a ma personne qu'il s'agissait, mais d'un hommage rendu a mon
pere.
A onze heures precises, huit des dix amis qui avaient ete prevenus
etaient arrives; les deux qui manquaient ne viendraient pas, ayant ete
arretes le matin et conduits a Mazas.
Quand je fus dans la rue derriere le char, mon coeur se serra sous
le coup d'une horrible apprehension: pourrions-nous aller jusqu'au
Pere-Lachaise et traverser ainsi tout Paris, les abords de l'Hotel de
ville, la place de la Bastille, le faubourg Saint-Antoine? Le souvenir
des paroles de M. d'Aray m'etait revenu, il s'etait impose a mon esprit,
et je voyais partout des barricades: on nous arretait; on renversait le
char; on jetait le cercueil au milieu des paves; la lutte s'engageait,
c'etait une hallucination horrible.
Je regardai autour de moi. Je fus surpris de trouver a la rue son aspect
accoutume; les magasins etaient ouverts, les passants circulaient, les
voitures couraient, c'etait le Paris de tous les jours; je me rassurai,
M. de Planfoy avait raison. Mais par un sentiment contradictoire que je
ne m'explique pas, je fus indigne de ce calme qui m'etait cependant
si favorable. He quoi! c'etait ainsi qu'on acceptait cette revolution
militaire! personne n'avait le courage de protester contre cet attentat!
Mais a regarder plus attentivement, il me sembla que ce calme etait
plus apparent que reel: il y avait des groupes sur les trottoirs, dans
lesquels on causait avec animation; au coin des rues on lisait les
proclamations en gesticulant. Et d'ailleurs nous etions dans le faubourg
Saint-Germain, et ce n'est pas le quartier des resistances populaires;
il faudrait voir quand nous approcherions des faubourgs.
Et j'avais la tete si troublee, si faible, qu'apres m'etre rassure sans
raison, je retombai dans mes craintes sans que rien qu'une apprehension
vague justifiat ces craintes.
Le calme de l'eglise apaisa ces mouvements contradictoires qui me
poussaient d'un extreme a l'autre. Je pus revenir a mes pensees. Je
n'eus plus que mon pere present devant les yeux, mon pere qui m'allait
etre enleve pour jamais.
Elle etait pleine de silence, cette eglise, et de recueillement. Soit
que les troubles du dehors n'eussent point penetre sous ses voutes, soit
qu'ils n'eussent point touche l'ame de ses pretres, les offices s'y
celebraient comme a l'ordinaire. Les chantres psalmodiaient, l'orgue
chantait, et au pied des piliers, dans les chapelles sombres, il y avait
des femmes
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