vous un portrait de votre pere jeune? me dit-elle.
--Non, madame.
--Eh bien! celui-la sera pour vous; je vous demande seulement de me le
laisser encore; je vais ecrire un mot derriere cette miniature pour
dire que je vous la donne; on vous la remettra quand je ne serai plus.
Guillaume est votre nom, n'est-ce pas?
--Oui, madame.
--Votre pere s'appelait Henri.
Je remerciai et me levai pour me retirer; elle voulut me retenir, mais
l'heure me pressait; je lui expliquai les raisons qui m'obligeaient a
partir.
Alors elle appela la jeune femme qui s'etait retiree a mon arrivee, et
me presentant a elle:
--Monsieur, dit-elle, est le fils du comte de Saint-Neree, de qui je
parle si souvent quand je veux citer un modele: si jamais tu rencontres
monsieur dans le monde, j'espere que la petite-fille aura pour le fils
un peu de l'amitie que la grand'mere avait pour le pere.
Elle me reconduisit jusqu'a la porte, puis, comme je m'inclinais pour
prendre conge d'elle, elle me retint par la main.
--Voulez-vous que je vous embrasse, mon enfant?
Pendant que je lui baisais la main, elle m'embrassa sur le front.
--Soyez tranquille a Marseille, me dit-elle, il ne manquera pas de
fleurs.
Je sortis profondement trouble et me dirigeai vers les Champs-Elysees.
Jusque-la, j'avais ete assez heureux pour trouver chez elles les
personnes que j'avais besoin de voir; mais aux Champs-Elysees, cette
chance ne se continua point: le personnage politique auquel mon dernier
paquet etait adresse etait absent, et l'on ne savait ou je pourrais le
rencontrer.
Je me decidai a attendre un moment et alors je fus temoin d'une scene
caracteristique, qui me prouva, une fois de plus, que l'armee de Paris
etait devouee au coup d'Etat.
Deux regiments de carabiniers et deux de cuirassiers occupaient les
Champs-Elysees. Tout a coup, une immense clameur s'eleva de cette
troupe, des cris enthousiastes se melant au cliquetis des sabres et des
cuirasses: c'etait Louis-Napoleon qui passait devant ces regiments et
qu'on acclamait; jamais troupes victorieuses proclamant empereur leur
general vainqueur, n'ont pousse plus de cris de triomphe.
Le temps s'ecoula. J'attendis, la montre dans la main, suivant sur le
cadran la marche des aiguilles et me demandant ce que je devais faire:
Fallait-il partir pour Marseille sans remettre mon paquet? Fallait-il
le confier a M. de Planfoy? Fallait-il au contraire retarder mon depart
jusqu'au lendemain matin?
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