ou soixante mille hommes de troupes devoues
a Louis-Napoleon dans Paris, et le peuple ne bouge pas; il lit les
affiches avec plus de curiosite que de colere; et comme on lui dit qu'il
s'agit de defendre la Republique contre l'Assemblee, qui voulait la
renverser, il le croit ou il feint de le croire. On lui rend le suffrage
universel, on met a la porte la majorite royaliste, il ne voit pas plus
loin. La bourgeoisie et les gens intelligents comprennent mieux ce qui
se passe, mais ce n'est pas la bourgeoisie qui fait les barricades.
La garde nationale ne bouge pas, nulle part je n'ai entendu battre le
rappel. S'il y a resistance, ce ne sera pas aujourd'hui, on est indigne,
mais on est encore plus desoriente, car on n'avait rien prevu, rien
organise en vue de ce coup d'Etat que tout le monde attendait. Demain
on se retrouvera: on tentera peut-etre quelque chose, mais il sera trop
tard; Louis-Napoleon sauvera facilement la societe et l'empire n'en sera
que plus solidement etabli. Je t'engage, mon pauvre Guillaume, a ne pas
differer cette triste ceremonie.
M. d'Aray est timide, M. de Planfoy est au contraire resolu; il a ete
representant a la Constituante, il a le sentiment des choses politiques,
j'eus confiance en lui et me rangeai de son cote.
XXII
Mon pere, dans nos derniers entretiens, m'avait donne ses instructions
pour son enterrement et m'avait demande d'observer strictement sa
volonte.
Il avait toujours eu horreur de la representation, et il trouvait que
les funerailles, telles qu'on les pratique dans notre monde, sont une
comedie au benefice des vivants, bien plus qu'un hommage rendu a la
memoire des morts.
Partant de ces idees qui, chez lui, etaient rigoureuses, il avait arrete
la liste des personnes que je devrais inviter a son convoi, non par une
lettre banale imprimee suivant la formule, mais par un billet ecrit de
ma main.
--Je ne veux pas qu'on m'accuse d'etre une cause de derangement,
m'avait-il dit, et je ne veux pas non plus que ceux qui me suivront
jusqu'au cimetiere, trouvent dans cette promenade un pretexte a
causerie. Je ne veux derriere moi, pres de toi, que des amis dont le
chagrin soit en harmonie avec ta douleur. Aussi, comme les veritables
amis sont rares, la liste que je vais te dicter ne comprendra que dix
amis sinceres et devoues.
Je m'etais religieusement conforme a ces recommandations, et je n'avais
de mon cote invite personne. Ce n'etait pas d'un temoignage de sympathie
do
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