i pas fait; j'ai ete entraine chaque annee, et pour
excuse, je me suis dit que tu serais colonel et richement marie quand je
te quitterais, et que les quelques mille francs amasses peniblement par
ton pere ne seraient rien pour toi. Je te quitte, tu n'es pas colonel,
tu n'es pas marie, je ne t'ai rien amasse et c'est a peine si tu
trouveras quelques centaines de francs dans ce tiroir. En tout autre
temps cela ne serait pas bien grave; mais maintenant que va-t-il se
passer? Pourras-tu rester soldat? Cette inquietude me torture et
m'empoisonne les derniers moments qui nous restent a passer ensemble.
Ces questions sont terribles pour un mourant, et plus pour moi que pour
tout autre peut-etre, car j'ai toujours eu horreur de l'incertitude.
Enfin, mon cher Guillaume, quoi qu'il arrive, n'hesite jamais entre
ton devoir et ton interet. La misere est facile a porter quand notre
conscience n'est pas chargee. Mon dernier mot, mon dernier conseil, ma
derniere priere s'adressent a ta conscience; n'obeis qu'a elle seule, et
quand tu seras dans une situation decisive, fais ce que tu dois; me le
promets-tu?
--Je vous le jure.
--Embrasse-moi.
Il m'est impossible de faire le recit de ce qui se passa pendant les
deux jours suivants. Je n'ai pas pu encore regarder le portrait de
mon pere. Je ne peux pas revenir en ce moment sur ces deux journees;
peut-etre plus tard le souvenir m'en sera-t-il supportable, aujourd'hui
il m'exaspere.
Mon pere mourut le 1er decembre au moment ou le jour se levait,--jour
lugubre pour moi succedant a une nuit affreuse.
XXI
Je n'ai jamais pu admettre l'usage qui nous fait abandonner nos morts a
la garde d'etrangers.
Qu'a donc la mort de si epouvantable en elle-meme qu'elle nous fait
fuir? Vivant, nous l'avons soigne, adore; il n'est plus depuis quelques
minutes a peine, son corps n'est pas encore refroidi, et nous nous
eloignons.
Ces yeux ne voient plus, ces levres ne parlent plus, et cependant de
ce cadavre sort une voix mysterieuse qu'il est bon pour notre ame
d'entendre et de comprendre. C'est un dernier et supreme entretien dont
le souvenir se conserve toujours vivace au fond du coeur.
Je veillai donc mon pere.
Mais, derange a chaque instant pendant la journee par ces mille soins
que les convenances de la mort commandent, je fus bien peu maitre de ma
pensee.
La nuit seulement je me trouvai tout a fait seul avec ce pauvre pere qui
m'avait tant aime. Je m'assis dans le fauteuil
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